lundi 5 février 2018
UN « BERGER » de « L’ÊTRE POUR LA MORT » :
« HANNAH » D’ANDREA PALLAORO.
Pas besoin d’être
une starlette pour avoir un regard qui tue. Charlotte Rampling, qui prête à « Hannah »,
le personnage central du film d’Andrea Pallaoro, le bleu irradiant de ses yeux
de lionne triste, porte sur le monde qui l’entoure un regard à la fois lucide,
ironique, tendre et désespéré. Un mari en prison, un fils qui ne veut plus la
voir, des petits-enfants qu’elle épie : on devine un terrible secret, une
Croix très lourde à porter au fil des jours, dans cette ville sans qualités,
réduite aux formes habituelles d’une modernité inhumaine. Elle crie, elle
balbutie, elle chantonne, elle retrouve, seule, les origines du langage, les
origines de l’Homme, elle se raccroche à son corps vivant, tellement vivant, ce
corps magnifique oublieux des liftings, ce corps scarifié de mémoires, son
amer, sa Trace, son Histoire, au milieu d’un univers sans mémoire.
Dans la maison post-moderne, comme échappée d’un
univers à la « Blade Runner », de son employeuse fortunée, cette
rescapée de (quel ?) innommable noue, avec un enfant autiste, la seule
relation véritable, nommable, de son univers, dans la rumeur, soudain
assourdissante, du silence des caresses. Pourtant, malgré toutes les apparences,
« Hannah » n’est pas un film désespéré. Au cœur de notre
environnement contemporain, volontairement privé de « portables » et
d’écrans, tant Andrea Pallaoro souhaite inscrire cette histoire dans le
continuo éternel de la solitude individuelle, dans la « jungle des villes »,
Hannah redécouvre simplement la condition humaine. Elle est la première et la
dernière femme, c’est un peu le Meursault de « l’Etranger » de Camus
avec, dans les moments les plus durs, un « Cri » à la Munch. Il y a,
jusque dans le mobilier suranné de son appartement, dans cette solitude absolue
seulement ponctuée d’une brassée de
fleurs – bel hommage du réalisateur à la première phrase de « Mrs Dalloway »
de Virginia Woolf – et d’un chien de passage, quelque chose du « Jeanne Dielman »
de Chantal Akerman.
Au
terme d’une scène finale interminable et terrifiante, où Hannah, privée de
tout, descend les escaliers du métro vers un quai – et un acte – que tout nous amène
à redouter, cette Première et cette Dernière femme monte finalement dans la
rame et reprend le cours, sinon de « sa » vie, du moins du temps qui
lui reste pour témoigner de l’Etre. « Être pour la mort », Hannah n’en
reste pas moins, aussi, son Berger.
Entre
Kafka et Houellebecq, entre Jean-Pierre Melville et Jean-Luc Godard, ce film, heideggérien,
donne à Charlotte Rampling, ce me semble, un de ses plus beau rôles. On n’oubliera
pas le regard d’Hannah. On reprend, nous aussi, la route, difficile, du « Métier
de Vivre » cher à César Pavese.
En
particulier au cinéma « Arlequin » ( rue de Rennes) qui, je le
signale, reprendra à compter du dimanche 11 février, en hommage à Claude-Jean
PHILIPPE, récemment disparu, le ciné-club mythique qu’il anima si longtemps.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire