"L'aventure, c'est le réalisme de la féerie" (ANDRE MALRAUX)

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jeudi 29 novembre 2007

LES RACINES DE L’ART REVOLUTIONNAIRE RUSSE.

L’art révolutionnaire russe puis soviétique découle directement de l’évolution artistique de la Russie depuis la seconde moitié du XIX° siècle. Dès cette époque, les peintres de la première génération des « Ambulants »- on les appelle ainsi parce qu’ils décident de quitter la perspective académique pour partir à la rencontre de la Russie- visent à davantage de réalisme et à opérer la jonction entre la peinture et la culture populaire/nationale. Des artistes comme REPINE ou SOURIKOV cherchent à traduire les qualités humaines à l’aide de techniques influencées par l’impressionnisme tout en restant attachés à l’historicisme. Pour se démarquer du « Monde de l’Art » pétersbourgeois, jugé trop « internationaliste », les artistes moscovites fondent l’Union des artistes russes qui, en opérant une synthèse entre impressionnisme, symbolisme et recherche de formes nouvelles,aboutissent à une sorte d’art populiste qui facilitera la transition vers un art révolutionnaire et « prolétarien » par l’intermédiaire d’un Jugenstil russe, le « modern style », où s’illustrèrent en particulier VROUBEL et SEROV.

La mendiante d’Ilia REPINE. SOURIKOV : Petite ville au bord de la rivière (1900).
Réalisme et impressionnisme.

SEROV, « Ida Rubinstein », 1910 : vers le Jugenstil russe

En fait, la plupart de ces artistes oscillent entre révolution des thèmes et révolution des formes. La conjugaison des deux s’effectuera en Europe à travers le non figuratif, en particulier le cubisme ; en Russie, la synthèse aura lieu dans le cadre de l’art prolétarien soviétique.

SEROV réaliste/populiste : « La jeune fille aux pêches » de 1887.

A partir de 1910, le groupe du « Valet de carreau » (Kontchalovski, Machkov, Falk, Lentoulov,Bourlioyk) pratiquèrent une sorte de néo-primitivisme, trouvant dans le jouet populaire ou l’enseigne une nouvelle impulsion pour rompre avec les conceptions « petites bourgeoises » de l’art. Aussi s’inspirèrent-ils du premier cubisme, celui de Cézanne, ou cherchèrent à promouvoir, comme FALK, un « cubisme lyrique »mêlant peinture philosophique et recherche de formes nouvelles. Le néo-positivisme devint un mouvement puissant comparable au fauvisme français et à l’expressionnisme allemand (« Die Brücke » et « Die Blaue Reiter »). A cet égard, KANDINSKY représenta la jonction entre les expérimentations russes et allemandes, balançant, comme un peu plus tard MALEVITCH, le fondateur du « Suprématisme »,entre figuration et abstraction. Revenu en Russie après un long séjour en France et en Allemagne, Kandinsky s’éloigne du figuratif sous l’influence de Bauhaus allemand et adopte des coloris plus sombres qui conviennent bien au pessimisme du temps. Son espace s’ouvre à une plénitude spirituelle et à la méditation, sans pour autant s’éloigner des thèmes réalistes (« Paysage avec une cheminée d’usine », 1910). De son côté, MALEVITCH , après la victoire bolchevique de 1917, se met au service de la révolution et cherche une synthèse entre art, artisanat et productivisme.

M.VRUBEL, « Démon assis », 1890. Ci-dessous, KANDINSKY, « Paysage avec cheminée d’usine », 1913.



MALEVITCH , « La moisson », 1911-1912 : primitivisme, géométrisation, thématique sociale.

Les « primitivistes » comme GONTCHAROVA s’inspirent de l’art populaire et médiéval pour développer un style à la fois réaliste et expressionniste qui annonce l’art « social » de la période soviétique.

« Le cycliste » de N. GONTCHAROVA (1913) opère la synthèse entre art populaire, expressionnisme et art de l’affiche. On se dirige vers l’art « total » de l’époque soviétique où l’œuvre picturale évolue, par l’intermédiaire du cinéma, vers l’iconisation et l’art « politique ».

La peinture militante de l’époque révolutionnaire sort directement de ces moules, ce qui explique l’extrême diversité des formes d’art révolutionnaire. KOUSTODIEV recours au symbolisme fantastique ou à une sorte de fantastique social, en particulier dans son « Bolchevik » de 1920. Il reste en cela assez proche de KOUZMA PETROV-VODKINE dont la « Mort du commissaire » (1928) ressortit davantage du réalisme socialiste traditionnel. La « Cavalerie rouge au galop » de MALEVITCH (1918-1930) comme les travaux à l’encre de Chine de KOZLINSKI tiennent compte de leur côté des stylisations nouvelles du dessin et de la peinture.

KOUSTODIEV, « Le Bolchevik », 1920.

Le géant de KOUSTODIEV, symbole de la marche inéluctable vers l’avenir d’une révolution qui écrase le passé, trouve son écho littéraire dans « Le Messie d’acier « de VLADIMIR KIRILLOV, fondateur en 1920 du mouvement littéraire « La Forge » qui groupe les « poètes ouvriers » :

« Le voici, le Sauveur, potentat de la terre,

Souverain des pouvoirs titaniques,

Dans le bruit des courroies, dans l’éclat des machines,

Dans la gloire des soleils électriques.

On pensait qu’il viendrait en étole d’étoiles,

Tout auréolé de mystiques divines,

Il est venu vers nous voilé de fumée sale,

Des faubourgs, des fabriques, des mines.

Et le voici franchir les abîmes des mers

Invinciblement, impétueusement ;

Il jette l’étincelle révolutionnaire,

Le feu purificateur il répand.

Partout où retentit son cri dominateur

S’ouvrent de la terre les entrailles ;

Devant lui les montagnes s’écartent de peur,

Sud et Nord, les pôles se rejoignent. ».

PETROV-VODKINE, “La mort du commissaire”, 1928.

KASIMIR MALEVITCH, « La cavalerie rouge au galop », 1918-1930.

“Quatre fois je vieillirai – quatre fois je serai rajeuni

Avant d’arriver au tombeau.

Où que je meure,

Je mourrai chantant.

Que je tombe ici ou là, n’importe,

Je sais –

Je suis digne d’être couché

Près de ceux tombés sous le drapeau rouge…

Je le vois

Net, en ses derniers détails,

Air sur air

Comme pierre sur pierre,

Ni guetté par la pourriture et ni par la poussière,

Rayonnant de siècles étagés,

qui s’élève

l’atelier des résurrections humaines ».

MAÏAKOWSKI, « De ceci », 1923.

VLADIMIR KOZLINSKI : « Le marin »(1919) et « La manifestation », 1918.

« Dès l’aube, à terre, cela fourmille. Des roues, chevaux et mitrailleuses,

Au cap Pavlov, la foule se presse Caisses de munitions au trot,

La troupe traîne dans le brouillard. Fracas, fracas qui nous écrase

Elle regarde essaimer l’armée. Le long du prospekt Nakhimov.

Un régiment vient de Pavlograd. Sur le boulevard de l’Histoire -

Des fantassins. De l’artillerie On y décharge ces jours-ci

De campagne, treizième brigade. Les restes d’anciennes avaries -

On fait l’essai d’un pavé gluant. Divisions du Don, de Crimée ».

BORIS PASTERNAK, « Lieutenant Schmidt », 1926-1927. (Le Lieutenant Schmidt fut un des dirigeants de l’insurrection de la mer Noire en novembre 1905. Après l’échec de celle-ci, il sera fusillé le 6 mars 1906

L’eschatologie révolutionnaire, le sentiment d’un véritable « big-bang » planétaire s’inscrivent pour leur part dans le millénarisme russe issu de l’orthodoxie. L’œuvre de YOUON, « La nouvelle planète » (ci-dessous) cherche à exprimer le changement radical qu’instaure la révolution mais aussi la complexité des sentiments de l’Humanité face à un événement historique universel. On notera l’omniprésence d’un rouge aveuglant et la symbolique planétaire et apocalyptique de l’œuvre.

YOUON, « La nouvelle planète », 1921. Youon deviendra président de l’Union des artistes russes au lendemain de la révolution.

Progressivement, l’art révolutionnaire va s’émanciper de ses origines et plusieurs groupes d’artistes vont chercher, au cours des années 1920, à promouvoir en « laboratoire » une étude scientifique de l’art, de ses catégories, des lois de perception de la forme et de la couleur. Toutefois, l’unité se fait à partir d’une préférence marquée pour le figuratif dans le traitement des thèmes révolutionnaires où la scène de genre et le portrait deviennent les genres préférés, renouant ainsi avec les grands maîtres historiciste de l’époque des « Ambulants « russes comme REPINE ou SOURIKOV. On pose le chevalet dans les tribunaux, les réunions de soviets, les usines…Parmi ces artistes de l’OST (Société des peintres de chevalet), BRODSKI fait figure de chroniqueur et fixe les visages des chefs de la révolution et du gouvernement tandis-que DENEÏKA préfère l’actualité économique et sociale de l’édification du socialisme où, alternant réalisme et recherche formelle, son rythme sévère et épuré devient le principal moyen d’expression du style dynamique du noyau « industriel et urbaniste » de l’OST. Ici, l’agit-prop passe du pictural à l’architectural.

Les peintres de l’OST sont en effet des urbanistes et des partisans de l’industrialisation de la vie qui cherchent la poésie dans les formes métalliques des constructions modernes, dans les lignes droites des grandes routes et des chemins de fer, à l’instar des artistes de l’Art Nouveau européen. Mais alors que l’idéal humain des « Jugenstil » apparaît protéiforme, androgyne, contemplatif, indécis, celui des constructivistes russes est un homme élancé, sportif, « constructiviste » intellectuellement, qui exprime par son physique le mécanisme de sa structure.

Les années 1920, contemporaines de la phase « lyrique » de la révolution ( Octobre, les Soviets, la guerre civile et l’épopée de l’Armée Rouge, la sensation de l’émergence d’un « homme nouveau »,etc.), marquent les premiers pas de l’art soviétique. La NEP et sa libéralisation momentanée de l’économie et de la société renforcera encore cette sensation d’un nouvel âge d’or. Après la mort de Lénine (1924) et l’accession au pouvoir de Staline (1928), les tendances multiformes de l’art révolutionnaire laissent place au seul « réalisme » socialiste, véritable synthèse de l’art populiste et moderniste.

ALEXANDRE DEÏNEKA, « La défense de Petrograd », 1929 et « Les ouvrières du textile », 1927.

NIKOLAÏ TERPSIKHOROV, « Le premier slogan », 1924 et ISAAK BRODSKI, « Lénine à Smolny », 1930.

« Voici

Le calme chimiste

au front vaste

froncé par l’expérience.

Dans le livre :

« toute la terre » -

Il se choisit un nom.

Le Vingtième Siècle… »

MAÏAKOVSKI, « De Ceci », 1923.

2 commentaires:

János Langlais a dit…

Peut-on aussi parler de racines de l'art révolutionnaire russe dans le domaine musical? Au début du XXème siècle il me semble que deux tendances prédominaient dans la musique russe: celle réaliste de Stravinsky et celle mystique de Scriabine. Est-ce que l'une ou l'autre ont eu quelque influence sur l'art révolutionnaire russe?

Olivier Milza de Cadenet a dit…

Chostakovitch a tenté, à sa façon, la synthèse de ces deux tendances dont vous noter l'émergence en Russie au début du XX° siècle de même que la littérature "révolutionnaire", je songe au "Don paisible" de Cholokhov, a cherché à unifier la mysthique dostoïevskienne et le réalisme tourguéniévien par exemple. Le sujet, musical ou littéraire,reste à creuser.
Olivier Milza de Cadenet.