ERNST NOLTE
ERNST NOLTE : LES FONDEMENTS HISTORIQUES DU NATIONAL-SOCIALISME.
(Editions du Rocher, 2002).
Né en 1923, Ernst NOLTE fut l’élève de Martin Heidegger et d’Eugen Fink. La parution en Allemagne, en 1987, de sa « Guerre civile européenne.1917-1945. National-socialisme et bolchevisme » suscita d’emblée une polémique qui n’est pas vraiment retombée. L’historien allemand part en effet de l’événement à ses yeux déterminant du XX° siècle, la révolution russe, pour proposer l’idée que celle-ci, en installant en Russie une révolution à vocation mondialiste fondée sur un totalitarisme, cherche à propager son idéologie en Europe, et d’abord en Allemagne où, de 1919 à 1933 va finalement triompher une « contre-révolution » national-socialiste dans le cadre d’une « guerre civile européenne » qui ne s’achèvera qu’en 1945 avec la victoire finale de l’URSS. Reprenant par ailleurs une partie des thèses d’Hanna Arendt, Nolte montrait les correspondances entre les deux totalitarismes, allant même jusqu’à proposer l’idée (oh combien hérétique !) que le totalitarisme nazi s’était montré bien moins radical que son homologue communiste, du moins jusqu’en 1941.
Nolte devait par la suite entretenir une longue correspondance avec FRANCOIS FURET, historien français à l’origine spécialiste de Tocqueville et de la révolution française, mais surtout ancien « compagnon de route » du PCF qui devait, au fil du temps, sortir de l « illusion communiste » et publier, au terme de ce long parcours, son « PASSE D’UNE ILLUSION. ESSAI SUR L’IDEE COMMUNISTE AU XX° SIECLE » (R.Laffont, 1995), autre brûlot non « conforme » à la pensée réglementaire universitaire française sur l’histoire du socialisme. L’articulation communisme-fascisme-antifascisme que proposait Furet ne pouvait que rencontrer les thèses de Nolte dans un contexte historiographique tumultueux allant du « Ni droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France » de ZEEV STERNHELL (1983) où l’historien de Tel Aviv trouvait au phénomène fasciste européen des racines…françaises au « Livre noir du communisme » dirigé par Stéphane COURTOIS (1997). Circonstance aggravante pour Nolte, il avait été l’élève d’Heidegger, la bête noire des historiens de gauche français, ce qui permettait à ces derniers de discréditer d’entrée de jeu une pensée qualifiée d’anticommuniste, voire de potentiellement négationniste. Dans sa première lettre adressée à Nolte, Furet déclarait avec ironie : « Je savais bien, en vous consacrant cette longue note (il s’agit de la note 13 du chapitre VI du « Passé d’une illusion »), que j’allais déclencher dans votre pays, et même au-delà, des sentiments d’hostilité à mon livre…tant le seul fait de vous citer déclenche à gauche des réactions quasiment « pavloviennes ; des historiens anglo-saxons aussi différents qu’Eric Hobsbawm ou Tony Judt m’ont même reproché le seul fait de citer votre nom, sans ressentir le besoin de justifier cette excommunication. Il faut rompre l’enchantement de cette pensée magique et je regrette moins que jamais de l’avoir fait ». (FRANCOIS FURET-ERNST NOLTE, « Fascisme et communisme », Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 2000, lettre du 9 mai 1996, p.35).
Le présent ouvrage dont je vous propose la synthèse reprend les principales thèses de Nolte concernant les origines lointaines du national-socialisme et en particulier le télescopage entre gauche socialiste et nationalisme dans l’Allemagne de la fin du XIX° siècle. Pour ce qui est de l’antisémitisme de gauche, vous y retrouverez les apports d’Hanna Arendt (Cf ma fiche sur le tome I des « Origines du totalitarisme) et pourrez compléter information et réflexion en lisant le « Ni droite ni gauche… » de Sternhell cité plus haut. A la suite de cette fiche, je vous joins une bio-bibliographie de FRANCOIS FURET comme première approche d’un auteur dont je vous proposerai ultérieurement l’analyse du « Passé d’une illusion ».
LA GENESE IDEOLOGIQUE ET POLITIQUE DU NATIONAL-SOCIALISME.
I/ Les racines du conservatisme révolutionnaire.
Hitler est un « révolutionnaire sans révolution », un contre-révolutionnaire hostile aux « Lumières », cet « Aufklärung » qui est la forme de gauche la plus ancienne avec sa critique rationnelle de la Bible et de l’Eglise comme pouvoir établi. L’hostilité à l’Ancien Testament ouvre l’antisémitisme moderne. Les « Illuminés » comme Adam Weishaupt (il se fait appeler « Spartacus ») militent en faveur d’une humanité égalitaire.
D’où l’émergence d’une philosophie contre-révolutionnaire : « Mémoires de Trévoux » en France et critique jésuite en Allemagne réunies dans une même hostilité à la notion rationaliste de « Tolérance ». Les « Réflexions sur la révolution de France » de l’Anglais BURKE seront diffusées en Allemagne dans une traduction de FREDERICH GENTZ qui sera plus tard le plus important collaborateur de Metternich.
On assiste donc entre 1789 et 1815 à la première guerre civile européenne qui se termine sur une inversion des termes : la révolution s’incarne dans le despotisme napoléonien tandis que l’opposition à la France prend l’aspect d’une « lutte de libération nationale » en Espagne, en Russie et en Allemagne. Reste que pour les conservateurs français, le nationalisme s’apparentait à la notion de révolution, d’autant que la gauche se mettait à utiliser le mot « national » au sens de « populaire ».
Par ailleurs, l’internationalisme va fleurir à gauche, dans les premiers mouvements socialistes, mais aussi à droite à travers le concept de « race » supranationale (A.DE.GOBINEAU en France). Le concept de NATION s’incarne en France dans Napoléon III et en Allemagne dans Bismarck qui fonde l’Empire autour du mouvement des Nationaux-libéraux auxquels s’opposent, outre les catholiques qui rêvaient d’un ancrage austro-hongrois, les Alsaciens-Lorrains, le Danois du Schleswig du Nord, mais aussi les socialistes conduits par AUGUST BEBEL et WILHELM LIEBKNECHT, c’est-à-dire les « Noirs » et les « Rouges ».
MARX, chef de l’Internationale en 1864 publie le premier volume du « Capital » en 1867. A sa mort en 1883, les « marxistes » forment un parti puissant quoique étroitement encadré en Allemagne.
Nolte étudie ensuite les premiers mouvements du conservatisme révolutionnaire en particulier chez A.STÖCKER, prédicateur et fondateur du mouvement chrétien-social à l’époque bismarckienne. Dans ce mouvement dont les réunions se terminent par le chant de LUTHER, « Eine feste Burg ist unser Gott » et la « Marseillaise des travailleurs » du leader du mouvement ouvrier WERTH, un ami de Marx, Nolte voit le premier exemple de jonction entre conservateurs et masses ouvrières. Par la suite qui plus est, Stöcker développera un argumentaire antisémite à la fois « révolutionnaire » par sa dénonciation de la grande entreprise « enjuivée » et conservateur par celle d’une « tribu à part au sein d’une race étrangère », une conception qui s’incarnera dans le mouvement national-social.
A partir de ce mouvement, émergence de l’antijudaïsme à travers deux catégories aussi radicales l’une que l’autre : les Juifs et les Germains, les seconds se sentant menacés par « l’enjuivement » d’une « réalisme délibéré et typique ». Idem pour le Parti Allemand de la Réforme (Deutsche Reformpartei » qui entend soumettre les Juifs à un droit spécifique dans la mesuré où, selon lui, le judaïsme est incapable de « se fondre dans les autres peuples ».
-Droite radicale et gauche radicale s’attaquent à l’argent comme facteur dissolvant de la société (cf Arendt « O.T. » Tome I).
-Intellectuels des années 1890 attirés par l’antisémitisme :
.HEINRICH VON TREITSCHKE, national-libéral allemand auteur de « L’Histoire allemande au XIX° siècle » où l’on trouve des phrases du genre :
-« L’essence de l’Etat réside premièrement dans la puissance, deuxièmement dans la puissance et troisièmement, dans la puissance encore ».
-L’Allemagne se trouve entre le knout russe et le porte-monnaie anglais ».
-« Il n’existe pas de civilisation sans domestiques ».
-« Parler de paix éternelle est une pure insanité ».
-« Les Juifs sont notre malheur ».
Pour lui comme pour le grand historien de l’Antiquité MOMMSEN, les Juifs doivent renoncer à leur « arrogance intellectuelle » et devenir comme les autres allemands, ce qui débouche sur une volonté d’assimilation assez identique à celle de la Révolution française qui entendait tout accorder aux Juifs en tant qu’individus mais rien en tant que nation.
.PAUL DE LAGARDE (de son vrai nom Paul Böticher), théologien et orientaliste soucieux de promouvoir une « germanité pure » et une « Eglise nationale ». Il compare les Juifs à des Trichines ( vers parasites de certains animaux dont la forme larvaire peut s’enkyster dans les muscles de l’homme). Un vocabulaire qui annonce la rhétorique nazie (« vermine », « corps étranger ») même si le Parti National Allemand, à l’instar de Lagarde, ne souhaite qu’un « éloignement » des Juifs.
.NIETZSCHE : apprécie la spiritualité juive comme partie intégrante de la « raison européenne » et considère que les « banquiers juifs » forment le « parti de la vie » qui entend détruire tout ce qui est déficient. Il leur reproche en fait qu’étant le peuple de la « Morale » - (c’est avec les Juifs que débuta selon lui le « soulèvement des esclaves dans la morale »)- il soit aussi celui du ressentiment et que ce ressentiment ait apporté dans le monde la perte du naturel et la fausseté. Mais c’est en fait sa sœur et son beau-frère qui s’avéreront être d’authentiques antisémites, orientant dans ce sens les textes de N. dont sa sœur (au soir de sa vie admiratrice d’Hitler) fut la légataire. D’où la lecture orientée d’Hitler.
Ce qui est singulier, c’est que ces intellectuels vont s’opposer à un mouvement ouvrier et socialiste traversé par une idéologie puissante portant en elle une prophétie destructrice, celle de la « mort de la bourgeoisie ».
2/ Radicalisation progressive à droite et à gauche.
1888 : mort de Fréderic III, anglophile et avènement du prince Guillaume.
1890 : renvoi de Bismarck.
D’où la remise en cause de « l’Alliance des Trois Empereurs » par l’alliance franco-russe. Mais l’Allemagne devient en même temps une grande puissance qui entend avec Guillaume II agir en ce sens, ce qu’un Max WEBER soutient également. D’autant plus qu’on est entré, avec l’émergence d’une puissance américaine (1898 marque la victoire sur l’Espagne et la conquête de Porto-Rico, de Cuba et des Philippines) et celle du Japon « Meiji » (1905 voit sa victoire sur la Russie) dans une ère d’états mondiaux et d’impérialisme (J.A.HOBSON). C’est dans ce contexte qu’un système de partis se structure en Allemagne et voit en particulier la montée en puissance des socio-démocrates à partir de 1912. Pour étudier à partir de là les racines du mouvement national-socialiste, Nolte va braquer le projecteur sur les pangermanistes, les socio-darwiniens et des personnalités telles que HOUSTON STEWART CHAMBERLAIN,ALEXANDRE TILLE et EUGEN DÜHRING.
.LE PANGERMANISME.
-Au moment de l’acquisition de l’île d’Heligoland (antérieurement britannique), on parle de « Herrenvolk » (« Peuple de seigneurs »). Puis, l’Association pangermanique voit le jour en 1894 (ALLDEUTSCHER VERBAND) sans prévoir l’Anschluss dans son programme. Elle entend fonder une civilité mondiale autour de la « Kultur » allemande (Max Weber y adhérera). Le discours est anti-anglais et on milite pour une germanisation radicale des territoires polonais de la Prusse (Posnanie, Prusse occidentale). Parallèlement, on veut renforcer la lutte contre la « propagande judéo-socialiste » et élargir les frontières pour protéger la nationalité allemande (espace vital !). Il est vrai ajoute Nolte qu’Engels trouvait légitime, dans les années 1850,que les Américains travailleurs prennent aux mexicains paresseux la terre dont ils ne sauraient, selon lui, faire bon usage, c’est-à-dire un usage progressiste ! Nolte rappelle par ailleurs qu’Hitler sera marqué par le pangermanisme autrichien de von Schönerer, aux yeux de Nolte le « premier conservateur authentiquement révolutionnaire en Europe » avec son rejet de l’Etat multinational des Habsbourg accusé de favoriser la « slavisation » du pays et sa promotion des Allemands d’Autriche et des Sudètes. ( Nota de Cadenet : sur l’aversion du jeune Hitler pour l’Autriche cosmopolite, voire KARL E.SCHORSKE, « Vienne fin de siècle, politique et culture »).
.SOCIAL-DARWINISME.
-1859 : « On the Origin of Species by Means of Natural Selection » de DARWIN. Idée que dans les conflits, ce sont les plus forts qui l’emportent, contre l’égalitarisme socialiste, mais aussi contre l’idée d’une civilisation qui protège les faibles et les inaptes et menace par là même le progrès. Chez les antisémites, cette même civilisation est menacée par des agents pathogènes la plupart du temps amenés par les Juifs. En septembre 1899, les « Résolutions de Hambourg » du Parti Réformateur Social-Allemand propose une solution radicale et prémonitoire :
« En raison du développement des moyens de transport modernes, il se pourrait que la question juive devienne une question mondiale au cours du XX° siècle et qu’alors les autres peuples soient amenés à la résoudre en commun, et de manière définitive, en mettant le peuple juif totalement à l’écart ou (si la nécessité s’en fait sentir) en l’anéantissant ».
-H.S. CHAMBERLAIN. (Gendre de Wagner ; britannique converti au pangermanisme).
-Publie « Les fondements du XX° siècle » en 1899.
-Les Germains sont synonymes de Civilisation.
-Les Juifs représentent la dictature du « Sujet » et le « chaos racial ».
-Les Juifs comme le marxisme sont dangereux car ils représentent un utopisme activiste qui met en danger la germanité.
-ALEXANDRE TILLE.
-Publie en 1893 « Au service du peuple. Point de vue d’un aristocrate social ».
-Les entrepreneurs sont des dirigeants supérieurs naturellement.
-Leur supériorité « raciale » leur donne le droit d’anéantir des « inférieurs ».
EUGEN DÜHRING. (Socialiste juif qui suscita « L’anti-Dühring » d’Engels.).
-Pour lui les Juifs forment le « peuple élu pour être égoïste », voués à une religion qui ne convient qu’à des natures serviles.
- A ses yeux, la social-démocratie représente la « judéocratie imposée aux travailleurs ». Dans son livre sur la question juive, il estime que la seule réponse à celle-ci consiste à « faire disparaître, dans son ensemble, le type d’homme qui pose problème ».
. LA SOCIAL-DEMOCRATIE.
L’aile gauche de la social-démocratie allemande, de son côté, menée par Rosa Luxembourg, refuse le « révisionnisme » réformiste « bourgeois » de Kautsky et Bernstein (programme d’Erfurt de 1891) et produit une rhétorique de la « lutte des classes » et de liquidation des couches moyennes qu’elle honnit.
3/ Les catalyseurs : la I° Guerre mondiale et la Révolution bolchevique.
Très vite, l’Allemagne a le sentiment d’être seule face au monde entier, tant ses alliés sont faibles et divisés (Tchèques, Croates…). La guerre révèle son dilemme : même sous la forme d’une grande Allemagne » (avec l’Autriche) elle est trop faible pour dominer l’Europe mais trop forte pour coexister avec les autres puissances européennes. En 1918, elle doit s’intégrer dans un « concert européen » où vont s’affronter le libéralisme national et l’internationalisme socialiste, ce dernier à certains égards aussi radical que l’avait été la Réforme protestante dans son intention de modifier l’Eglise de l’Occident. Avant 1914, le socialisme européen conciliait une volonté de bouleversement universel par le biais d’une révolution paneuropéenne et l’incarnation dans un « grand parti de la paix » contre la « guerre impérialiste ». Or, la conversion des socialistes à la guerre signe la défaite du marxisme orthodoxe ; pour Nolte, le fait le plus notable à cette échelle fut la « conversion de l’un des leader les plus connus du socialisme d’avant la guerre, Benito Mussolini, à un nationalisme belliqueux ». Côté russe, c’est PLEKHANOV qui prenait parti pour les « défenseurs de la patrie ». C’en était fait de l’unité socialiste ; (Nota de Cadenet : les socialistes revitalisent ici le vieux patriotisme révolutionnaire de 1992, celui de la nation en armes, expliquant au passage les glissements récurrents des socialo-communistes du XX° siècle entre internationalisme et patriotisme républicain).
Nolte atténue par contre le concept de « Diktat » en parlant de « paix diktat douce » du fait de la perte de territoires non allemands, de réparations lourdes mais supportables, etc. En revanche, il insiste sur Dantzig –voir G.GRASS dans « Grands textes »- et l’article 231 qui l’amènent à la conclusion suivante :
-« C’est dans cette mesure que l’on peut dire de la paix de Versailles qu’elle a été la première des prémisses immédiates du national-socialisme, car il paraissait absolument évident que, de manière assez comparable avec ce qui s’était passé en France après 1815 et après 1871, les pangermanistes, ou des successeurs encore plus radicaux, allaient attaquer le traité de Versailles dans le cadre de la liberté d’opinion et d’action qui leur était laissée ». La guerre est donc bien à ses yeux la première prémisse du national socialisme.
La seconde étant la grande crise économique qui « fit du NSDAP le parti de loin le plus puissant ». Mais pour expliquer in fine la victoire d’Hitler, il fallait qu’intervienne « un homme qui ne fut pas simplement un être passionné, mais qui fut aussi en quelque sorte une passion faite homme ». Or, cette passion ne s’explique pas seulement par un sentiment de frustration nationale et d’indignation face à la crise sociale. Il y faudra le catalyseur de la Révolution russe et, partant, de la possibilité d’une extension européenne de la révolution bolchevique (Bavière, Hongrie…). En découle une hostilité radicale à la « Tchéka » et à sa terreur capable de perpétuer un « assassinat de classe » d’ailleurs évoqué sans complexe par ZINOVIEV déclarant que, des 100 millions d’habitants de la Russie, les Bolcheviks devaient en gagner 90 millions à leur cause mais qu’ils ne pouvaient parler avec les 10 millions restants et qu’il leur fallait les détruire !!! Nolte en déduit sa thèse centrale : « Seule sa rencontre avec ce grand mouvement international a fait d’Adolf Hitler le personnage tel qu’il est entré dans l’histoire ». Les années d’apprentissage semblent ici décisives, à Vienne puis à l’hôpital militaire de Pasewalk où Hitler, par l’intermédiaire de quelques jeunes Juifs communistes, opère la fusion Juifs-Bolcheviks d’où découle sa haine nationaliste à l’égard de ces derniers. Et Nolte de rappeler que des personnalités aussi différentes que Churchill et Thomas Mann avaient, un temps, cédé à cet amalgame que par ailleurs les origines de Marx, Zinoviev ou Bela Kun peuvent étayer.
En mettant le Juif à la place du capitaliste, les nazis n’opposent pas seulement une contre-idéologie mais une contre-émotion équivalente. Ils inventent un ennemi déclaré dont le bolchevisme quant à lui disposait en la personne du nazisme et sans avoir recours à l’interprétation
OLIVIER MILZA DE CADENET.
Dossier : François Furet : un combat contre l'illusion

Historien de la Révolution française et de l'illusion communiste, François Furet disparaissait il y a dix ans. Il avait choisi l'histoire comme discipline la plus englobante et comme terrain tout désigné d'une mise à l'épreuve de la théorie.
Son oeuvre pourrait d'ailleurs contenir dans l'une de ses citations : "Problèmes de la révolution et dilemnes de la démocratie".
D'un bout à l'autre de sa recherche, on voit ainsi François Furet passer de la Révolution française, tragédie greffée sur une espérance, à l'illusion communiste, espérance greffée sur une tragédie, en parcourant dans l'intervalle toutes les incarnations de la pensée révolutionnaire.
Son premier livre, écrit avec Denis Richet en 1965, La Révolution Française, reste marqué par une histoire sociale d'inspiraton marxiste et a fait de lui avec son texte suivant Penser la Révolution, un spécialiste de la période. Mais peut-on réduire l'oeuvre de François Furet à la seule Révolution Française ?
Au delà de la Révolution française, c'est tout le cycle révolutionnaire qui l'intéressait. En amont, un long XVIIIe siècle, qui manifeste un basculement de l'ordre du monde : il était alors convaincu que la révolution rend visible, bien plus qu'elle ne fait surgir, quelque chose qui est déjà accompli.
D'autre part, en aval,il se représente un 19ème siècle qui n'en finit pas de dérouler les conséquences de la révolution. Il était l'historien non d'un événement singulier, mais d'une nation révolutionnaire, osant de plus, des comparaisons avec l 'Angleterre ou la Russie.
C'est en découvrant l'échec des politiques volontaristes (le jacobinisme se nourrissant d'une exaltation constructiviste de la volonté) qu'il a été conduit à repenser la part du politique dans les sociétés démocratiques. De là, une redéfinition de la Révolution française comme moment fondateur de la conscience politique moderne. De là aussi, l'intéprétation de trois grandes formes politiques inventées par le XXe siècle : fascime, nazisme, communisme.
Cette nouvelle ouverture le conduit à mettre alors l'accent sur une histoire essentiellement politique. Alors que régnait dans l'histoire contemporaine le tabou qui interdisait tout rapprochement entre nazisme et communisme, il le lève résolument. Dans son dernier livre Le passé d'une illusion : essai sur l'idée communiste au XXe siècle, dont l'intention est de "comprendre les représentations imaginaires à travers lesquelles tant d'hommes ont vécu la politique révolutionnaire au XXe siècle", il renoue avec son passé communiste et le fait d'être lui-même sorti de l'illusion.
Lourdement critiqué pour sa méthode comparative, il apporte pourtant une précieuse contribution à la découverte des traits qui distinguent les deux régimes.
Toujours proche des questions brûlantes de l'époque, il aimait déchiffrer le présent grâce aux grilles du passé. Sa pratique régulière du journalisme (au Nouvel Observateur) lui offre alors une capacité d'analyse en dehors des grands courants académiques et de son parcours d'historien des idées. On retiendra ainsi, de son intinéraire, sa façon de combiner l'énergie de l'investigation intellectuelle avec le bonheur de l'écriture.
Biographie express
27 mars 1927 : Naissance de François Furet
1954 : Agrégation d'histoire
1959 : Rupture avec le parti communiste
1965 : La Révolution française (avec Denis Richet)
1977-1985 : président de l'EHESS
1978 : Penser la Révolution française
1985 : Professeur à l'Université de Chicago
1988 : La révolution, de Turgot à Jules Ferry ; La république du centre - La fin de l'exception française (avec Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon)
1992 : Dictionnaire critique de la Révolution française (avec Mona Ozouf)
1995 : Le passé d'une illusion
1997 : élection à l'Académie française où il succède à Michel Debré
12 juillet 1997 : mort au cours d'une partie de tennis. Il ne sera jamais officiellement reçu à l'Académie.
1998 : Fascisme et communisme (avec Ernst Nolte)
François Furet est docteur honoris causa des Universités de Tel Aviv et Harvard. Il est membre de l'American Academy of Arts et Sciences, de l'Armerican Philosophical Society.
Il a reçu pour l'ensemble de son oeuvre : le prix Tocqueville (1960), le prix européen des Sciences Sociales (Amalfi 1996), le prix Annah Arendt de la pensée politique (Brême 1996) et pour son son livre Le passé d'une illusion, le prix du Livre politique, le prix Chateaubriand, et le prix Gobert de l'Académie française (1996).
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