"L'aventure, c'est le réalisme de la féerie" (ANDRE MALRAUX)

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lundi 23 février 2015

QUESTIONS CONTEMPORAINES (IEP) : LA FAMILLE (APPROCHE SOCIOLOGIQUE).



LES MUTATIONS DE LA FAMILLE : APPROCHE SOCIOLOGIQUE.

I/Une approche diachronique.

A.La part des facteurs démographiques et économiques.
B.Les nouveaux modèles familiaux.
C.La famille entre étatisation et privatisation.

II/Une approche synchronique.
A.Une individualisation de la vie familiale. (Approche libérale).
B.Le droit face au « démariage » : permanence institutionnelle.
C.La part de l’Histoire et la « trame conjugale » : récurrence des « habitus ».



Ce n’est un mystère pour personne qu’il y a différentes approches de la famille en France. Le récent débat sur le Pacs, l’adoption, le « mariage pour tous », la GPA/PMA, mais aussi  les différentes enquêtes et rapports sur la famille du professeur Hauser et de Mme Théry montrent à l’envie combien la sociologie de la famille doit se décliner au pluriel.

1. Approche diachronique

Le premier article de Kellerhals et Roussel montre non seulement la pluralité des approches mais aussi l’extrême variété des directions dans lesquelles sont menées les recherches en sociologie de la famille entre 1965 et 1985. Les auteurs relèvent 12 « problèmes-clés que l’actualité, démographique surtout, a posés à la sociologie de la famille. Ils tentent, à travers eux, de repérer les tendances dominantes des recherches dans ce domaine :
1. Le choc de l’évolution démographique à travers ses indicateurs les plus courants : Taux de nuptialité, taux de fécondité, taux de naissance hors mariage, taux de divortialité. Comment rendre compte de ces mutations ? Les points qui suivent présentent des tentatives d’explicitation.
2. La place de plus en plus importante des femmes sur le marché du travail salarié a bouleversé le marché de l’emploi mais aussi la vie familiale dans toutes ses dimensions.
3. Un rapport à la fécondité modifié par des causes exogènes comme la contraception et la législation afférente ; une diminution du taux de fécondité ; un autre rapport à l’enfant (sens de l’enfant, rang de l’enfant dans la fratrie, programmation des naissances en fonction du travail, …) ont fait l’objet de nombreuses études.
4. L’augmentation du taux de divortialité n’est pas sans lien avec l’accès des femmes au travail et donc à une autonomie de revenu. Cette augmentation se traduit par une croissance corrélative des familles « recomposées ». Les ruptures seraient entre autres causées par un certain irréalisme quant à ce que l’on peut attendre de la vie de couple ou à une baisse de l’homogamie.
5. De nouveaux modèles familiaux. Les familles se fondent sur d’autres principes que dans les décennies précédentes et l’on peut repérer une plus grande diversité des styles relationnels familiaux (fusionnel, consensuel, communicationnel, …)
6. L’homogamie qui perdure. Ce point semble en contradiction avec le point 4. En fait si elle demeure majoritaire, les études montrent qu’elle baisse un peu.
7. Un réseau familial fort.
8. Croissance des unions libres
9. La hantise de la normalité
10. Evolution du droit de la famille.
11. Une intervention de l’état croissante dans la politique familiale.
12. Une évolution des familles qui se ferait au carrefour de trois dominantes : privatisation, pluralisation et normalisation.
Une petite analyse de l’article et de cette grille de lecture montre que le rapport entre vie familiale, vie conjugale et vie économique n’est pas traité pour lui-même. Ce n’est pourtant pas faute d’y avoir pensé. Les auteurs de l’article écrivent en effet à propos de la chute du taux de nuptialité et des indicateurs familiaux : « La crise économique aurait pu être avancée comme explication générale. Mais les changements démographiques l’avaient devancée et les pays qui paraissent aujourd’hui les mieux protégés contre la récession sont souvent ceux-là mêmes qui accusent les plus fortes perturbations dans le domaine de la famille. »(25)
Cette remarque sur la crise économique me semble bien rapide. En 1987, date à laquelle l’article est publié, Les chiffres disponibles étaient probablement ceux de 1985. La crise battait déjà son plein et il me semble qu’il était déjà possible de lui reconnaître une influence importante sur l’évolution des indicateurs familiaux que sont les taux de nuptialité et de naissance hors mariage. Si de 1965 à 1975 les courbes des taux de chômage et de nuptialité semblent sans rapport l’une avec l’autre, on ne peut en dire autant entre 1975 et 1985.
Il est possible que les rédacteurs de l’article n’aient pas eu l’occasion de construire ce graphe. Il témoigne pour eux en ce sens que les 10 premières années de leur période d’étude apparaissent sans lien aucun avec le taux de chômage, mais aussi parce qu’effectivement, la chute du taux de nuptialité précède de deux ans la très forte augmentation du taux de chômage. En revanche, il me semble que notre graphe 5 révèle une analyse de Roussel et Kellerhals par trop approximative pour la dernière décennie de leur étude (75-85).

2. Approche synchronique

L’article de Jean-Hugues Déchaux porte essentiellement sur l’actualité de l’édition en sociologie de la famille au cours des années 1992-1993. A partir des ouvrages de François de Singly, Irène Théry, Jean-Claude Kaufmann et de Martine Ségalen (
26), l’auteur montre qu’il est possible de distribuer les publications en sociologie(s) de la famille selon quatre critères. D’une part la sociologie de la famille adopte soit le point de vue de la conjugalité soit le point de vue de la parentalité. D’autre part, si chacune de ces approches atteste d’une désinstitutionnalisation du mariage, les auteurs ne lui attribuent pas forcément la même importance.
Disons, pour commenter la notion de version +, qu’il s’agit pour les auteurs d’accompagner cette désinstitutionnalisation soit parce qu’ils la croient inévitable soit parce qu’ils l’appellent de leurs vœux ; tandis que pour ceux qui sont concernés par la version -, il s’agit plutôt de dire : « oui, il y a une désinstitutionnalisation mais l’institution revient autrement ».
J.-H. Déchaux ne place pas les auteurs dans son tableau, mais il me semble qu’après une analyse des commentaires qu’il fait et notre propre lecture des ouvrages cités, on ne peut aboutir qu’à ce résultat.
Il faut aussi noter que l’auteur de l’article adresse un reproche collectif à ceux qui concluent à la désinstitutionnalisation familiale qui interprètent le concept d’institution surtout dans un sens plus juridique que sociologique(
28) . Ce reproche s’adresse principalement à F. de Singly et I. Théry.
Enfin, la conclusion de Jean-Hugues Déchaux montre combien il est difficile aux sociologues de ne pas se laisser influencer par leurs valeurs personnelles : « L’analyse du traitement de la temporalité confirme par ces différentes sociologies de la famille la pertinence de notre grille d’analyse et met donc en évidence les positions morales et politiques qui sont les leurs quant à la modernité. Se trouve par-là rappelé que le débat moral n’est jamais véritablement absent des discussions scientifiques. »(
29) Toute la question, en ce qui nous concerne, est lorsque nous ferons le choix d’une sociologie de la famille, sera-ce pour des raisons scientifiques ou pour des raisons morales ?
Reprenons ces auteurs de manière un peu plus précise.
 

a. François de Singly

François de Singly est actuellement professeur à la Sorbonne, Directeur du centre de recherches en sociologie de la famille. C’est un des ténors de la sociologie de la famille en France. Il publie beaucoup, des livres comme des articles. Il est invité régulièrement dans des colloques universitaires et autour des micros de la télévision ou de la radio. C’est dire l’importance de son influence.
L’ouvrage qu’il a publié en 1993, Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Nathan université, Coll. 128, 128 pages, fait partie d’une collection destinée aux étudiants en sociologie avec objectif pédagogique. Il s’agit, en 128 pages, de fournir une présentation didactique des enjeux d’une question et de proposer une bibliographie commentée (très utile et bien faite).
Une lecture attentive du plan et de l’introduction montre à l’évidence le chemin que l’auteur nous propose de parcourir. Il y a selon l’auteur un mouvement radical vers l’individualisation de la réalité familiale. Et à mesure que cette individualisation s’opère, on peut observer une intervention croissante de l’état ou encore « une socialisation de la sphère privée ». Les trois têtes de chapitre le montrent aisément :
1. La dépendance de la famille par rapport à l’état.
2. L’autonomie de la famille contemporaine par rapport à la parenté.
3. L’autonomisation de l’individu par rapport à la famille contemporaine
Cette évolution que F. de Singly interprète comme individualisation de la vie familiale est une constante qu’il maintient et réaffirme régulièrement. Cette position de 1993 se retrouve encore en 1996 lorsque François de Singly publie Le soi, le couple et la famille, où il affirme en quatrième de couverture : « Oui, la famille a changé. Non seulement son cadre institutionnel a craqué, mais sa fonction centrale s’est également modifiée. Son rôle premier a longtemps été la transmission du patrimoine, économique et moral, d’une génération à l’autre. Aujourd’hui la famille tend à privilégier la construction de l’identité personnelle, aussi bien dans les relations conjugales que dans celles entre parents et enfants. »(30)
Plus récemment encore, François de Singly et Véronique Munoz-Dardé ont publié un article dans Le Monde (
31) intitulé : « Pour le pluralisme des formes de la vie privée ». Cette chronique, par-delà l’analyse du Pacs qu’elle propose, permet aux auteurs de dévoiler leur vision de l’avenir sur l’intervention de l’état dans la conjugalité et la parentalité.
L’option libérale est mise en avant pour tout ce qui concerne la conjugalité :
A plus long terme, au nom de quoi justifier que l’Etat ait pour fonction centrale de reconnaître, de valider certaines unions plutôt que d’autres ? Pourquoi la vie à deux, toute vie à deux, ne serait-elle pas exclusivement une vie privée sans statut public ? Pourquoi l’Etat n’interviendrait-il pas uniquement (au niveau d’un statut) lorsque apparaît un tiers, l’enfant, dont il se porterait garant ? En s’engageant à élever tel enfant, les hommes et les femmes obtiendraient la reconnaissance du statut de " parent ". La " famille avec enfant " serait publique (avec statut), et le couple serait privé (sans statut). Cette option plus libérale, revenant à remettre en question le mariage, a pour intérêt de limiter l’influence de l’Etat et, par-là, sa zone de contrôle. L’Etat n’aurait plus à codifier les bonnes formes de vie commune, il limiterait son action à définir les bonnes conditions pour la vie des enfants.
Nous sommes ici en présence d’une option très libérale qui s’appuie sur la neutralité de l’état. La désinstitutionnalisation du mariage est pour l’auteur un vœu. Il a à notre sens une position militante dans sa sociologie. Cela confirme les conclusions de Jean-Hugues Déchaux à propos de la morale qui se révèle dans la sociologie. Peut-on en déduire que les analyses déployées par François de Singly dans son ouvrage sur la sociologie de la famille en France sont sous-tendues par une telle vision ? C’est plus que probable. En tout cas, le passage de la description à l’interprétation est ici tout particulièrement sujet à caution.

b. Irène Théry

Mme Irène Théry est aussi très connue dans le paysage français de la sociologie de la famille. Elle a publié Le démariage (
32) qui fait l’objet d’une analyse de Jean-Hugues Déchaux, et parmi une bibliographie abondante, elle a aussi publié un article (33) qui est une forme de synthèse de ses positions : « Différence des sexes et différence des générations » en 1996. Sa notoriété lui a valu la commande d’un rapport important sur la famille en France commandé par la Garde des Sceaux Ministre de la Justice, Mme Elisabeth Guigou et par la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Mme Martine Aubry. Ce rapport intitulé Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée a été publié en juin 1998.
Mme Théry est une sociologue spécialiste du droit. Son attachement à cette discipline est sensible dans l’ensemble de ses écrits. Jean-Hugues Déchaux le constate aussi à sa manière : « On sent chez I. Théry un authentique regret du déclin symbolique profond que connaît le droit »(
34). Et l’on sent bien qu’elle n’est pas prête à brader aussi facilement que F. de Singly le cadre juridique qui entoure la réalité complexe de la famille en France tant au niveau de la conjugalité qu’au niveau de la parenté.
Irène Théry est à l’origine du concept de « famille recomposée » pour essayer de rendre compte de la réalité sociale en voie de modification rapide. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est surtout le concept de démariage que l’on ne peut assimiler purement et simplement à celui de divorce dans la pensée d’Irène Théry. Le démariage traduit pour I. Théry la remise en cause par la société contemporaine de la place symbolique que tenait le mariage il n’y a pas si longtemps encore. Se fondant sur des observations semblables à celles de F. de Singly, elle réalise dans son rapport rédigé en juin 1998 une synthèse de son concept du démariage : Mme Théry affirme que « c’est la place sociale de l’institution matrimoniale qui a changé avec la transformation des représentations du couple : le choix de se marier ou non devient une question de conscience personnelle et le mariage cesse d’être l’horizon indépassable des relations entre les hommes et les femmes. C’est ce phénomène social que l’on a nommé le "démariage" »(
35).
Ce concept n’est pas réductible au divorce dans la pensée de Mme Théry même s’il l’inclut. En fait elle le définit sur trois niveaux : « au sens juridique, le démariage n’est pas autre chose que le divorce ; au sens social et culturel, c’est le bouleversement de l’ordre symbolique qu’entraîne la privatisation du lien matrimonial. Mais le démariage a aussi un sens idéologique : c’est un certain idéal de ce que doit être, hors du droit, la négociation d’une rupture amoureuse »(36). Le concept de démariage inclut donc non seulement les séparations mais aussi le refus du mariage, le phénomène de cohabitation durable et sans doute aussi les recompositions familiales.
Le démariage a pour conséquence la désarticulation de la conjugalité et de la filiation. Il est vrai que l’évolution récente du droit de la famille a entériné deux évolutions inverses : d’une part il est possible de divorcer à l’amiable, c’est donc une prime à l’individualisation de la conjugalité ; d’autre part on ne peut abandonner sa responsabilité de parent, on ne « divorce » pas de ses enfants. Ce qu’exprime parfaitement l’auteur dans sa conclusion : « L’idéal d’indissolubilité de la filiation doit désormais se substituer à celui de l’indissolubilité matrimoniale, sous peine de mettre en cause les droits et les devoirs que tout adulte doit assumer dès lors que, par cet autre acte de volonté qu’est la reconnaissance de l’enfant, il a assumé d’en être le parent. C’est la conséquence de la liberté des adultes de ne pas se marier, de se marier, de se démarier, et cela implique forcément, en cas de séparation, de respecter les liens de l’autre parent à l’enfant. »(
37) En fait, il faudrait dire plus encore, car l’état oblige non seulement au respect de l’autre parent mais aussi le parent lui-même à ne pas abandonner toute responsabilité quant à l’éducation de son enfant. L’état intervient alors de manière très ferme en contraignant à la coresponsabilité en matière d’éducation, malgré le divorce et quoiqu’il coûte de la complexité qu’apporte l’arrivée d’un ou de deux beaux-parents. Sans doute est-ce cela qui amène I. Théry à dire, dans son article de 1996, que « la famille n’est plus pensée comme une institution parce qu’elle est devenue une institution impensable »(38). Cependant, la juste perception de la complexité de la situation conduit l’auteur à penser que « le démariage, qu’on le perçoive ou non, a mis à l’ordre du jour la nécessité de refonder, autrement, mais véritablement l’ordre symbolique de la famille et de la parenté »(39). Or, suffit-il d’un livre pour fonder ou refonder un ordre symbolique qui s’est construit au fil des siècles ? Ou, en sens contraire, peut-on croire sérieusement qu’un ordre symbolique qui aurait tant de racines, puisse s’effondrer en à peine trente ans ? Quel est le sens de l’histoire longue, de la tradition longue de notre auteur qui est pourtant si attaché au droit ?
Manifestement, ce qui emporte son jugement pour ouvrir la symbolique du droit aux nouvelles situations est non seulement leur nombre (de fait incontestable) mais aussi une certaine complaisance aux discours convenus de cette fin de siècle qui font une place sans équivalent dans l’histoire à la nature privée, individuelle, de toute personne. Le droit doit accompagner cette volonté privée et I. Théry a beau vouloir tenir au droit et vouloir le réintroduire pour rééquilibrer la tendance à l’hyperindividualisation de notre fin de siècle, le choix qu’elle fait de prendre en compte les situations de fait et de les accompagner par la proposition d’un droit plus adapté, montre qu’en définitive c’est la volonté individuelle du sujet qui l’emporte. « Se réapproprier cette culture (du droit), ce n’est pas remettre en cause le privé, c’est tenter de lui redonner la dimension qu’il a perdue, et faire qu’au sein même de sa vie privée, chacun de nous demeure un sujet de droit, et l’autre un alter ego »(
40).
I. Théry semble plus nuancée que F. de Singly dans sa proposition de mettre du droit dans la vie privée au niveau de la conjugalité là où de Singly ne voulait que liberté individuelle. Cependant, ses propositions sont plus fortes dans le sens où elle est d’accord pour donner la force du droit à une multitude de formes de vie privée au seul motif de la situation de fait. L’adoption de la loi sur le Pacs, qui ne reprend pas toutes ses propositions, montre qu’en définitive, c’est sa pensée qui a eu le plus de fécondité chez le législateur. « Le débat moral n’est jamais véritablement absent des discussions scientifiques ».

c. Martine Ségalen

Des quatre auteurs présentés par Jean-Hugues Déchaux, Martine Segalen est celle qui intègre le plus dans sa sociologie de la famille le sens de l’histoire longue. Elle a co-dirigé avec André Burguière, Christiane Klapish-Zuber et Françoise Zonabend une histoire de la famille (
41) en trois tomes dont nous nous sommes inspirés pour la dimension historique de notre travail. Elle a récemment publié dans la collection 128 chez Nathan « Rites et rituels contemporains » qui contient un chapitre sur le mariage et à propos duquel nous aurons l’occasion de revenir. L’ouvrage qui fait l’objet de la recension « sociologie de la famille » (1993) a depuis été réédité en 1996 mais sans remaniements fondamentaux. C’est de cette dernière version dont nous tirerons les références. L’effort de M. Segalen d’inscrire la sociologie de la famille dans le grand mouvement de l’histoire lui permet de ne pas se laisser emporter par des événements récents. « L’expérience historique révèle la formidable puissance de résistance et d’adaptation d’une institution : peu d’entre elles ont ainsi su traverser les changements économiques et sociaux fondamentaux qui ont fait passer des sociétés fondées sur une économie paysanne à des sociétés fondées sur une société industrielle et postindustrielle. Bref la sociologie contemporaine de la famille ne peut se bâtir sans intégrer une perspective historique. »(42) L’ethnologie, quant à elle, permet de montrer la multiplicité des modèles familiaux selon les sociétés. Ce qui l’amène à regarder la famille contemporaine à l’intérieur de cette multiplicité : « L’organisation familiale contemporaine n’est ainsi qu’un des arrangements possibles dans l’univers des cultures »(43). Martine Segalen fait donc l’effort d’une sociologie non cloisonnée sur sa propre méthode mais en dialogue profond avec d’autres sciences humaines que sont l’histoire, l’ethnologie, mais encore l’économie, le droit, … Les nombreuses études dans les divers domaines évoqués montrent que l’on ne peut proposer des théories monocausales pour rendre compte de l’évolution de l’institution familiale. C’est donc un principe sociologique fort pour Martine Segalen que l’affirmation « qu’il "n’existe de théories scientifiques du changement social que partielles et locales". Cela ne doit cependant pas pour autant faire renoncer à l’usage des modèles, instruments indispensables de la connaissance, à condition d’être conscient du fait "qu’ils sont toujours débordés par la réalité"(44) , comme l’écrit Raymond Boudon. »(45) Bref, il n’y a de sociologie de la famille que prudente et modeste.
Une telle approche qui se place résolument du côté de la parenté et de la pluridisciplinarité montre en fait que l’auteur se place résolument du côté du maintien de l’institution de la famille mais dans des formes variables. « Il y a dix ans, on parlait encore de "crise" de la famille ; aujourd’hui il n’est plus question que de retrouvailles avec une institution méconnaissable et rajeunie »(
46). Loin donc d’admettre une désinstitutionnalisation, Martine Segalen préfère reconnaître qu’il existe des formes nombreuses de la parenté et que celle qui émerge dans notre société contemporaine existe peut-être de manière préfigurée dans des sociétés différentes ou anciennes (47). Claude Lévi-Strauss, dans la préface du tome 1 à l’histoire de la famille que co-dirige M. Segalen, pose la question de savoir s’il existe « un modèle de famille dont on puisse dire qu’il constitue la base commune de toutes les sociétés humaines ou le terme de famille n’est-il qu’une étiquette commode pour désigner des formations plus ou moins hétérogènes ? »(48) Forcé de reconnaître qu’il est impossible de trouver un modèle universel de la famille, Claude Lévi-Strauss opte pour la seconde solution : « Il se pourrait (…) que dans sa puissance inventive, l’esprit humain eût très tôt conçu et étalé su la table presque toutes les modalités de l’institution familiale. Ce que nous prenons pour une évolution ne serait alors qu’une suite de choix parmi ces possibles, résultant de mouvements en sens divers dans les limites d’un réseau déjà tracé. »(49) Dans ce contexte, il est clair que le concept d’institution à propos de la famille est loin d’être réductible à son seul aspect juridique mais sert à manifester qu’il existe, de manière universelle cette fois-ci, un cadre socialement repérable qui organise la sexualité des relations hommes - femmes.
Nous devons en tout cas à Martine Segalen cette prudence scientifique et cette idée de regarder dans l’histoire pour voir si ce qui se vit aujourd’hui dans l’institution familiale en France (naissances nombreuses hors mariage, concubinage lié à la pauvreté ou à une législation contraignante) n’était pas attesté en d’autres lieux, à d’autres époques. Et, comme nous l’avons montré, c’est bien le cas.

d. Jean-Claude Kaufmann

Jean-Claude Kaufmann est le dernier des quatre auteurs étudiés par Jean-Hugues Déchaux. Si Martine Segalen montre que l’institution familiale fait mieux que de la résistance en cette fin de siècle à travers des analyses qui prennent en compte l’ethnologie et l’histoire et en réintégrant le conjugal dans la parenté, il semble bien que J. Cl. Kaufmann en ne portant son intérêt que sur le couple contemporain admette aussi que s’il existe un discours anti-institutionnel, en fait, l’institution familiale se repère dans la pratique de la conjugalité en particulier au niveau du propre et du rangé. Dans ce contexte aussi, il faut se garder de comprendre le concept d’institution dans un sens juridique. Pour le dire avec Jean-Hugues Déchaux, J.-Cl. Kaufmann « montre que des logiques sociales sont à l’œuvre derrière la "légèreté conjugale" qui caractérise la vie des jeunes couples et explique comment, au fil du temps, s’engendrent ou réapparaissent des rôles sociaux et des normes relationnelles, alors qu’aucune référence ne s’impose d’elle-même par son autorité morale, sa légitimité »(
50) . C’est tout l’objet de son ouvrage La trame conjugale. (51)
La difficulté essentielle pour le lecteur est de garder une distance par rapport à l’analyse de l’enquête qui s’est fait à l’aide d’entretiens. Reproduisant nombre de dialogues, il faut savoir y repérer les concepts utilisés par Kaufmann.
Une des thèses centrales de l’ouvrage consiste dans le repérage d’un décalage entre le discours égalitaire des deux membres du couple à propos de la répartition des tâches ménagères et leur répartition effective après quelques mois ou quelques années de vie commune. C’est dans le chapitre IV, Couple et individu, dont est extrait la citation suivante que J.-Cl. Kaufmann rend compte le plus explicitement de ce décalage. « Certains jeunes l’utilisent (la disponibilité) pourtant avec sincérité, comme instrument pour atteindre l’égalité. Sans comprendre, là encore, la logique cachée de reconstruction des rôles sexuels. "On a fonctionné à partir de la disponibilité de chacun", déclare Michel Chouchern, (…). Carine confirme : elle avait "plus de temps" et a donc pris en charge davantage de travaux, malgré leur référence à une norme égalitaire. »(
52) Kaufmann essaye de rendre compte de ce décalage entre discours et pratique par le concept « d’injonction ». L’injonction est ici une force intérieure qui pousse la personne (souvent la femme) à mettre en œuvre des habitudes incorporées (par l’éducation, les images sociales,…) non seulement dans la gestion du propre et du rangé mais aussi dans la répartition des tâches. Il faut noter enfin que plus l’injonction est inconsciente et plus elle est forte « L’injonction la plus fortement structurante des pratiques est silencieuse et invisible »(53).
Kaufmann montre bien qu’en définitive, ce sont ces habitudes incorporées qui reprennent le dessus la plupart du temps malgré une volonté affichée d’une répartition égalitaire des tâches ménagères. Et si l’inégalité survient, alors on trouvera des discours pour la justifier comme la disponibilité citée plus haut. Il faut noter que J.-Cl. Kaufmann est très sensible au concept d’habitude. Il n’hésite pas à le décliner sous de multiples formes tout au long de l’ouvrage : culture sédimentée (43), habitudes constituées, héritage sédimenté (53), héritage caché (53), sédimentations d’habitudes comme processus d’accumulation linéaire (85)… Le concept de sédimentation, (inspiré par Schütz ?) (
54), laisse entendre qu’il y a des couches de pratiques habituelles qui sont plus anciennes que d’autres et par conséquent plus difficilement remaniables que d’autres. Il est bien connu que parmi les petits conflits du début d’une vie conjugale on retrouve des questions ayant trait à la place du beurre (au réfrigérateur ou au placard), la manière de ranger ses affaires de toilettes autour du lavabo (dentifrice, …) et bien d’autres petits détails que l’on a incorporés depuis toujours. La difficulté des négociations sur ces détails est proportionnée à la profondeur et à l’ancienneté de leur incorporation. Plus ils sont profonds et plus ils sont silencieux, et plus ils s’apparentent à des évidences.
Dans un article (
55) postérieur à la publication de la trame conjugale, Kaufmann fait l’effort d’une synthèse plus théorique. « L’auteur, dit le résumé, analyse comment l’évolution des trente dernières années est caractérisée par l’affaiblissement d’une définition identitaire par les rôles, progressivement relayée par un mécanisme plus implicite : la réactivation et la négociation des habitudes incorporées » (303). En trente ans, on serait passé du dit au non-dit, de l’explicite à l’implicite, du rôle conscient à l’habitude incorporée inconsciente. L’article porte sur cette distance qui existe entre le rôle, le statut actuel que l’on met effectivement en œuvre et la justification que l’on en donne, l’identité que l’on croit avoir. Parfois ils sont ajustés l’un à l’autre, mais pas toujours.
Ce travail s’inspire directement des études théoriques faites à l’occasion de la trame conjugale. Elles sont ressaisies ici de manière plus universitaire. La sociologie connaît bien les difficultés de vocabulaire entre statut et rôle ou encore entre statut latent et statut actuel et Kaufmann ne les ignore pas. Notre auteur montre avec pertinence, semble-t-il, que « l’identité (…) se forge essentiellement par une prise successive de rôles » qui s’exercent plus ou moins en contradiction avec les habitudes incorporées par le sujet (liées à l’image de la mère quand ces habitudes portent sur le propre et le rangé) et dans une négociation explicite ou sourde avec le conjoint, avec des justifications théoriques qui ne sonnent pas toujours justes (disponibilité, ça s’est fait comme ça, …).
Cela montre deux choses fondamentales : d’une part que le discours tenu pour justifier de rôles effectifs n’est pas nécessairement à prendre au comptant ; d’autre part si au départ les membres d’un couple sont prêts à adopter des rôles très éloignés du schéma incorporé, il arrive souvent que ce soit le profond qui finit par l’emporter ou dont on regrette qu’il ne puisse être actualisé.
Nous avons donc là un modèle d’analyse des discours de chaque sujet à propos de son identité lorsque cette identité se construit et se pose aussi en présence d’un autre avec qui l’on vit au quotidien. Ce modèle nous a paru particulièrement intéressant pour une analyse de notre société à l’égard du statut matrimonial. Finalement, ce que la société ou plutôt, ceux qui parlent dans la société, et parfois un peu trop facilement, en son nom, ont-ils des discours ajustés à ce qui se vit réellement ? Ce qui se vit est-il vraiment de l’ordre du choix d’un autre mode de vie ou habité du regret de ne pouvoir ajuster la pratique de la conjugalité à une habitude incorporée ? Pour être explicite, le concubinage est-il un refus du mariage ou bien un espace intermédiaire entre le célibat et le mariage ? Pour reprendre une expression de Martine Segalen, l’institution du mariage ne ferait-elle pas preuve une fois encore d’une formidable capacité d’adaptation à des conditions de précarité ?






LES MUTATIONS DU MODELE FAMILIAL ;

-L’ethnologie remet en questions l’universalité de notre modèle familial.
-La psychanalyse révolutionne la compréhension de la sexualité et modifie la vie familiale et l’institution du mariage.
-Une société industrielle et urbaine, loin des ruralités, entraînent à leur tour un changement de perspectives.

1.    Du parental au conjugal.

-Rétrécissement de la famille au couple avec enfants (famille nucléaire).Jadis, des « lignées » qui se transmettaient les héritages globaux. Une famille fondée sur le passé. Du lien de sang au lien d’amour. De la maison familiale à l’appartement d’un avenir souhaité.
-Evolution historique : au XIX° siècle, DE BONALD exalte la famille d’ancien régime, fondée sur la terre. Pour lui, l’état de choses « naturel » débouche sur une famille patriarcale, se distinguant de « l’état natif » primitif. Il s’agit d’une sorte de perfection sociale voulue par Dieu et qu’atteint peu-à-peu une organisation chrétienne de la vie économique et politique. Ici, la Nation apparaît comme une grande famille hiérarchisée dont le roi est le père. Le Chef de l’Etat, le père de famille et toutes les hiérarchies intermédiaires, répercutent l’image du Père céleste.
         Dans le monde bourgeois, ce modèle perdure : le patriarche gère les capitaux et les alliances matrimoniales. La famille bourgeoise canalise la sexualité qui libérée, menacerait dangereusement l’ordre public. (Avant son mariage, le fils va au bordel et la fille est déniaisée par un ami de la famille).
         Mais le bourgeois conservateur, qui défend le droit d’aînesse dans un univers « terrien » et mise sur les familles nombreuses, source de richesses, se distingue du bourgeois libéral qui préférera la stratégie de l’enfant unique pour ne pas morceler son patrimoine.
         La femme apparaît alors comme la gardienne du foyer, dans une fonction plus domestique que sociale. Elle ne travaille pas, à la différence de l’ouvrière d’usine.
         Monde contemporain : le monde du travail déborde sur l’univers familial qui n’est plus une unité économique de production, mais de plus en plus de consommation globale.
         Ville généralisée produisant des collectivités globales : des métropoles mondialisées, donc déterritorialisées et « connectées » : ces nouvelles connections mondialisées estompent les relations de voisinage, donc aussi les relations familiales. Informatique et transmission du savoir : parents hyperactifs et vieux qu’on entend plus fragmentent la famille traditionnelle. La famille devant la télé est-elle encore une famille ? Un ordinateur « familial » ou un medium technique à usages segmentés ?
         La femme n’est plus dépendante de son état de « nature » : les maternités ne sont plus subies, mais elles gagnent en liberté ce qu’elles perdent en symbolique (fait-on des enfants dans le même ordre symbolique ? TESTART : la génération comme « rencontre d’un projet parental et d’une équipe médicale »). La féminité du féminisme a remplacé la maternité du maternel !
         L’homme « mobile », hors-sol, délocalisé, jugé sur ses seules valeurs et performances individuelles, peut-il encore « faire souche » dans un univers atomisé ?

2.    Nouveaux foyers et nouvelles relations sociales.

-On est passé du parental au conjugal, d’une institution à une relation interpersonnelle.
-On passe des solidarités de lignage (parenté large) à la nécessaire séparation d’avec les parents.
-Du mariage comme institution collective à l’autonomie d’un couple et à la valorisation de l’intimité.
-Une famille ouverte où les choix remplacent le destin genré.
-Solitude et névrose de la « femme au foyer ». Sans les enfants assez vite, le couple doit se créer son propre réseau affectif et social.
-Distinguer en plus les couples à rôles sociaux homogènes et hétérogènes, ces derniers débouchant sur des réseaux de relations différents.
-Désormais, la relations des sexes, d’abord à l’intérieur de la vie familiale, où se répercute la vision que la société a de la vie sexuelle, construit la personne et la colore de masculinité et de féminité.

3.    La famille et le champ de la sexualité.

-L’étude comparative des structures de la parenté dans le monde démontre que la sexualité ne vise pas d’emblée la rencontre interpersonnelle de l’homme et de la femme, mais le groupe et sa permanence.
-La relation sexuelle et la place des femmes dans un groupe participent d’abord d’une valeur d’échange dans l’économie du groupe. Amour et érotisme en découlent.
-Masculinité et féminité ne sont plus des « donnés » structurels inhérents à la famille traditionnelle. Ils résultent de la relation des sexes dans la famille moderne.
-De ce fait, le corps sexué ne peut plus être simplement considéré comme instrument pour la transmission de la vie et la perpétuation du groupe ; il n’est plus un simple donné objectif au service de l’espèce, mais à la fois l’être au monde et l’être à autrui de la personne.
-La fécondation n’est plus liée à la construction d’un lignage de transmission, mais plutôt à l’épanouissement du couple-roi.
-On ne fait plus d’enfants en fonctions de considérations sociales qui interviennent par exemple pour fixer leur nombre. On tient compte ici, de plus en plus, de l’équilibre du couple, des relations frères-sœurs,etc.
-L’accouchement ne relève plus de la mythologie « naturelle » : il devient un acte socialisé, de plus en plus médicalisé, avec présence du père…

CONCLUSION :

-La famille, de plus en plus élargie, recomposée, monoparentale, suit l’histoire des mutations de l’individu et de ses désirs privés. Ce n’est plus vraiment une cellule sociale. Plutôt une nébuleuse inter-affective globale, de plus en plus interconnectée, et moins à l’intérieur qu’à l’extérieur. D’où le recul du patriarche, voire du Père ( cf le « Mariage pour tous » et le « Parent 1 et 2 »), sa féminisation face à la masculinisation de la femme que certains considèrent désormais comme surpuissante (Zemmour). Inversion du paradigme de l’autorité : des parents vers les enfants, on passe à « l’enfant-roi » d’ALDO NAOURI.



NOTA: les structures familiales connaîtront dans l'avenir, avec les nouvelles techniques de gestation, une révolution radicale dont la controverse sur le "mariage pour tous" s'est faite l'écho. Ci-après quelques textes qui illustrent ce débat.

 

Jacques Testart : « Demain, il n’y aura plus de limite au tri génétique »
par Agnès Noël 19 mars 2014
Tests génétiques, sélection des embryons, multiplication des fécondations in vitro : jusqu’où ira la médicalisation de la procréation ? Avec la sélection des profils génétiques, « nous finirons par orienter l’espèce humaine en fonction d’impératifs économiques », prévient Jacques Testart, biologiste et « père » du premier bébé éprouvette. Dans son ouvrage Faire des enfants demain, le chercheur alerte sur les risques d’eugénisme qu’amènent ces démarches. Entretien.
Basta ! : Dans votre ouvrage, vous dénoncez le recours immodéré à la fécondation in vitro (FIV). Pourquoi une telle inflation de l’utilisation de cette technique ?
Jacques Testart [1] : Une grande partie de ces FIV est justifiée : de plus en plus de gens ont du mal à faire des bébés tout seuls. La qualité du sperme ne cesse de baisser ces dernières années, en partie en raison de causes environnementales. On ne peut pas évaluer la qualité des ovules aussi facilement que celle du sperme, mais elle a sans doute aussi subi des incidences – l’âge moyen des femmes à la procréation augmente ce qui explique également des difficultés. Mais au moins un quart des FIV sont effectuées pour raison idiopathique, c’est-à-dire sans cause apparente de stérilité. Il s’agit donc d’un abus assez clair. Si on attendait trois ans, beaucoup de ces gens auraient probablement pu faire un enfant tous seuls. Il s’agit d’une question de rentabilité – il faut amortir les coûts des Centres d’Assistance médicale à la procréation (AMP) – mais aussi d’une question sociétale (impatience des parents, attitude « consommatrice »,…)
On médicalise de plus en plus la procréation, mais les actions sur les questions environnementales susceptibles de provoquer ces problèmes se fait attendre. La stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a six mois de retard par exemple…
On commence quand même à reconnaître les liens entre l’environnement et la santé. Une enquête de l’Institut national de veille sanitaire et de l’Inserm l’a encore prouvé récemment. Dans les régions où il y a beaucoup de pesticides, la chute de qualité du sperme est plus importante. Le problème est qu’on parle uniquement de réduire l’emploi des pesticides et des perturbateurs endocriniens, alors qu’il faudrait carrément les interdire ! Le risque est tellement important qu’il faudrait aussi faire des recherches pour inhiber les effets des perturbateurs endocriniens. D’autant que même si des mesures sont prises (le bisphénol A va être interdit à partir de janvier 2015, ndlr), il faudra des générations avant qu’elles ne soient effectives pour la santé publique, ces substances persistant dans l’environnement et agissant à de très faibles doses ! Or, là dessus, il n’y a rien. C’est assez dramatique.
Vous vous opposez depuis trente ans au diagnostic pré-implantatoire (DPI), qui permet d’identifier certaines caractéristiques de l’embryon avant sa transplantation dans l’utérus. Cette technique aboutirait selon vous à un risque d’eugénisme « mou ». C’est-à-dire ?
L’eugénisme est une « pulsion » historique pour améliorer la qualité des enfants de l’espèce humaine. Quand je parle du diagnostic pré-implantatoire comme vecteur d’eugénisme, je ne parle pas d’un eugénisme imposé par l’État et violent, comme il a pu l’être au début du XXème siècle aux États-Unis ou en Allemagne. Mais d’un eugénisme souhaité par les gens eux-mêmes, afin d’avoir une certaine garantie de la « qualité » du bébé. Certes, il y a déjà eu des tentations eugéniques auparavant. Et actuellement existe l’interruption médicale de grossesse (IMG), qui vise à interrompre une grossesse en cas de handicap du fœtus par exemple. Mais dans l’IMG, il y a le garde fou de la souffrance de l’avortement. Alors que le tri embryonnaire est une révolution : c’est la première fois qu’on peut choisir l’enfant de façon indolore par sélection au sein d’une population d’embryons ! On choisira juste de transférer un embryon « sain » dans l’utérus de la femme plutôt que les autres.
On ne peut plus nier son potentiel eugénique avec l’élimination d’embryons porteurs de handicaps aussi légers que le strabisme, en Angleterre. Ou de probabilités pathologiques plutôt que de certitudes, en France [2]. Aux États-Unis, certaines cliniques proposent même de sélectionner le sexe et la couleur des yeux des bébés ! Dans les années 80, quand j’annonçais cette perspective de bébé sur mesure, les gens étaient horrifiés. Maintenant quand je le dénonce, je me fais engueuler.
Le diagnostic pré-implantatoire n’est autorisé en France que chez les familles à risque, pour dépister une seule maladie d’une particulière gravité. Cela limite tout de même les abus.
Au début on évitera la naissance d’enfants atteints de graves handicaps, comme la myopathie ou la mucoviscidose. Mais à partir du moment où l’on disposera d’ovules en grande quantité, et qu’on évitera aussi la pénibilité de la fécondation in vitro, le diagnostic pré-implantatoire intéressera davantage de monde ! L’État finira par proposer un screening (dépistage) à tout le monde, comme pour la trisomie 21 (l’État a d’ailleurs choisi de concentrer ses efforts financiers sur le test de dépistage de la trisomie plutôt que sur la recherche concernant la maladie, ndlr). Car c’est plus intéressant économiquement de financer le dépistage de personnes « à risque » que de payer des frais de santé durant toute une vie. Mais ce screening couvrira la plupart des maladies et même les facteurs génétiques de risque pour ces maladies, dont nul n’est indemne.
Oui, mais le nombre d’ovules est toujours limité chez la femme.
Les équipes japonaises et coréennes font d’énormes progrès sur ces questions. Il apparaît possible de transformer des cellules de peau en ovules et donc d’obtenir des embryons innombrables parmi lesquels on pourra choisir le « meilleur ». Il se passe actuellement dans la science des choses incroyables. On attendra peut-être dix, vingt ou trente ans mais il faut s’y attendre : on arrivera à une production d’ovules à grande échelle. Et quand on aura cette production, il n’y aura plus de limite au tri génétique.
Le risque n’est-il pas d’arriver à une situation similaire à celle du film Bienvenue à Gattaca, où des hommes « améliorés » trustent le pouvoir ?
Oui, on va arriver à un homme compétitif, « sur mesure », au moins à des actions généralisées dans ce but. En sélectionnant, génération après génération, certains profils génétiques, nous finirons par orienter l’espèce en fonction d’impératifs économiques (efficacité, compétitivité, état de santé…). Cela se fera sans violence et même, sauf sursaut éthique, à la demande des populations.
Quid de la possible utilisation judiciaire et policière des données génétiques obtenues lors d’un diagnostic pré-implantatoire ?
Il y a un risque sécuritaire évident. Déjà, avec les morceaux d’ADN en théorie « non informatifs » qui sont déposés au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), on peut déterminer l’origine ethnique de la personne et certains facteurs de risque. Via le diagnostic pré-implantatoire, ou un examen plus tardif, on aura accès à la totalité du génome. On peut innocenter quelqu’un avec une prédisposition à la violence. Ou au contraire en faire une preuve contre lui. Il y a déjà eu des jugements en ce sens aux États-Unis ou en Italie.
Et quelle utilisation possible par le système de santé et les assurances ?
Le diagnostic pré-implantatoire permet potentiellement d’avoir un tableau complet des facteurs de risque de tout individu. Puisque le bébé parfait n’existera jamais, on pourrait corréler toutes ces données génétiques avec nos modes de vie et faire des préventions d’accidents ou de maladies en fonction de probabilités, nous conseiller d’adopter un mode de vie adapté à notre génome. Au risque de se passer d’une vraie politique sociale de santé. Je suis inquiet par exemple du nombre de femmes qui choisissent de se faire enlever les seins pour une simple prédisposition de risque de cancer du sein. Il y a une confiance absolue dans le génome : à partir du moment où c’est inscrit dans les gênes, les gens tiennent cela pour une certitude alors que ce n’est pas le cas ! Quand aux assurances, elles rêvent de ce genre de choses ! Elles pourraient établir des assurances à la carte, en fonction des risques et pénaliser leurs clients s’ils ne font pas ce que les médecins préconisent [3].
N’y a t-il pas une augmentation de la vigilance des États sur la question des tests génétiques ? Depuis décembre dernier, la société de biotechnologie américaine 23andMe par exemple n’a plus le droit de vendre de tests de prédispositions aux maladies génétiques.
Certes, les tests sont interdits aujourd’hui et de nombreux textes sont censés protéger contre ces dérives (l’utilisation commerciale de tests génétiques est interdites en France, ndlr). Mais je n’y crois pas trop dans la durée. S’il n’existe pas de règle bioéthique contraignante au niveau international, rien n’est valable [4].
Outre le diagnostic pré-implantatoire, vous évoquez une autre possibilité « d’améliorer » l’homme, la transgénèse, à savoir l’introduction de gènes supplémentaires dans le génome de l’embryon. En gros, il s’agit de faire un homme génétiquement modifié ?
Oui, c’est un projet des transhumanistes. Leur but est d’adapter l’homme à son milieu, ou de l’améliorer grâce à la biologie de synthèse, en introduisant de nouveaux gènes dans le génome. Mais cela donne des résultats un peu décevants, même chez les plantes car on ne maitrise pas réellement les perturbations induites dans l’ADN. Sans compter qu’il y a des effets inattendus, quelquefois très graves. Autre question, chez les plantes ou les animaux, on sait ce qu’on veut obtenir : une augmentation de la production de lait, des meilleurs rendements, etc.. Mais quelle capacité veut-on introduire chez l’homme ?
Ce qui est paradoxal, c’est cette confiance accordée aux améliorations « techniques » pour remédier à des problèmes finalement causés par la technique (infertilité, problèmes environnementaux …). Pourquoi ?
La technique a apporté beaucoup à l’homme. Il y a eu une véritable amélioration de la qualité de vie. Il existe des outils techniquement fabuleux, comme le téléphone portable par exemple. On est donc élevés dans l’idée que le progrès est par principe une bonne chose. Alors pourquoi ne pas appliquer les progrès de la mécanique et de l’informatique à autre chose, comme aux questions de santé ? Mais il est plus difficile de maitriser le bricolage du vivant que de fabriquer des objets extraordinaires !
On pourrait assimiler cet homme amélioré aux fameuses plantes génétiquement modifiées. Les écologistes font-ils le rapprochement ? Ont-ils pris position sur le sujet ?
Les écologistes de la décroissance, des Indignés, sont contre le transhumanisme et, pour la plupart, contre le tri des embryons. Mais les membres d’Europe écologie se positionnent pour l’Assistance médicale à la procréation pour tous et semblent indifférents au diagnostic pré-implantatoire.
Vous prenez parti dans votre ouvrage contre la gestation pour autrui (GPA) : vous dites qu’il n’y a pas de droit à l’enfant. Mais vous proposez une GPA dans le cadre d’une « aide solidaire ». N’est-ce pas un peu paradoxal ?
Je suis absolument contre la GPA telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Par contre si un homosexuel souhaitant être parent a une cousine qui accepte de porter son enfant, c’est différent. Là-dessus, je n’ai pas de jugement. J’estime que l’assistance médicale à la procréation doit échapper au marché et aux médecins. En refusant la médicalisation de l’acte, on se retrouverait dans une société où tous les géniteurs, les personnes ayant contribué à la naissance de l’enfant, comme les mères porteuses ou les donneurs de sperme, apparaitraient dans l’état civil de l’enfant. Il y aurait plus de transparence, évitant ainsi des perturbations chez l’enfant. On entrerait dans un autre type de relations, c’est ce que j’appelle l’aide conviviale à la procréation.
Et les risques de dérive mercantile ? Les dons d’ovule en France sont officiellement bénévoles, mais selon un rapport de l’IGAS de février 2011, des donneuses ont reconnu qu’elles avaient été payées par les receveuses.
C’est pour cela que la gestation pour autrui me paraît utopique dans cette société. Si une mère porteuse « altruiste » ne peut pas se trouver, c’est que la société n’est pas mûre. Et si cela ne peut pas se faire, cela ne se fait pas, c’est tout. Mais pourquoi serait-ce aux médecins de remédier à une situation quand on peut trouver des solutions dans la société, comme pour l’insémination d’un couple de femmes homosexuelles par exemple ? Il suffit d’une seringue ! Mais il faut bien sûr que cela se fasse sans argent et sans moyen de pression.
Et la place des citoyens dans tout ça ? Comment peuvent-ils se réapproprier une place dans le processus de décision ?
Des conférences de citoyens, bien formés, connaissant le cœur du problème, pourraient offrir un véritable renouveau démocratique au delà de la bioéthique hexagonale. Au sein de Fondation Sciences citoyennes, nous militons pour cela depuis des années.
Jean-Pierre Michel (PS) : «Je suis pour la GPA pour tous les couples»
François Vignal
Le 31.01.2013

Le rapporteur du texte sur le mariage pour tous au Sénat, le socialiste Jean-Pierre Michel, est «pour la gestation pour autrui pour tous les couples, mais pas tout de suite». Il souhaite dissocier cette question du mariage pour tous. Mais à terme, « ça viendra », estime le sénateur de Haute-Saône. Entretien.
En janvier 2010, vous aviez cosigné la proposition de loi de la sénatrice PS Michèle André visant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui pour les couples hétérosexuels et pour raisons médicales. Quelle est votre position aujourd’hui ?
Je suis favorable à la GPA. Je pense qu’on est en pleine hypocrisie aujourd’hui. Les sénateurs avaient accepté le principe de la GPA dans ce groupe de travail présidé par Michèle André. Le groupe était majoritairement à droite et s’était prononcé pour la GPA encadré pour les couples hétérosexuels. Je suis toujours pour. On avait fait un déplacement à Londres, où c’est autorisé. Ça se passe très bien. Au ministère anglais de la Santé, une commission recueille les demandes et les accepte en fonction des situations et fixe le dédommagement à donner à la mère. On pourrait s’en inspirer. C’est un dédommagement, ce n’est pas une rémunération. Il tient compte de la situation de la femme. Il faut faire en sorte que tous les frais occasionnés soient payés. Quant à la circulaire de la garde des Sceaux, elle dit juste que les enfants nés à l’étranger par GPA ont la nationalité française.
Allez vous présenter un amendement sur la GPA lors de l’examen du projet de loi sur le mariage entre couples de même sexe au Sénat, dont vous êtes le rapporteur ?
Non. Je ne suis pas favorable à ce que ce soit dans le texte sur le mariage pour tous. En tant que rapporteur du texte au Sénat, je ferai repousser tous les amendements sur la GPA, comme ceux sur la PMA. La GPA pose des problèmes de bioéthique. Mais à terme, il faudra l’envisager et faire cesser l’hypocrisie. Elle est pratiquée à l’étranger et ça coûte cher. Elle est pratiquée en France aussi, mais de manière clandestine. Il y a même des mères qui portent l’enfant pour leur fille.
Etes-vous favorable à la GPA aussi pour les couples homosexuels ?
Bien sûr, je suis pour la GPA pour tous les couples, mais pas tout de suite. Je suis pour au nom de l’égalité. Pour l’instant, la société n’est peut-être pas d’accord, on peut attendre. Mais si on permet la PMA pour les couples de femmes, que fait-on pour les couples d’hommes ? Ils pourraient avoir recours à la GPA. Mais je suis conscient que pour l’instant, il faut discuter.
Le gouvernement a clairement dit qu’il était contre toute légalisation de la GPA…
Oui, il est contre, il est contre… Mais contre pourquoi ? L’argument donné, c’est la marchandisation du corps des femmes. Il ne tient pas. Malheureusement, le corps des femmes se retrouve marchandé dans d’autres cas, y compris la publicité.
Votre position sur la GPA ne va-t-elle pas dans le sens des arguments de certains parlementaires UMP qui affirment que la gauche compte autoriser à terme la GPA ?
Mais ces arguments sont nuls. On a entendu les mêmes, au moment du Pacs, dont j’étais rapporteur à l’Assemblée nationale. Lors des débats, ils disaient qu’après le Pacs, ce serait l’adoption pour les couples de pacsés. Or après que le Pacs ait été voté, tout le monde a dit que c’était très bien. Demain, ce sera la même chose avec le mariage pour tous. Ils sont toujours  en retard d’un TGV.
Mais pensez-vous que la GPA sera autorisée un jour en France ?
Mais pourquoi pas. Elle peut venir après. Je ne dis pas dans 6 mois, ni un an. Mais ça viendra. Le mariage pour tous, cela fait plus de 10 ans qu’on en parle.
Regrettez-vous que le gouvernement s’oppose à la GPA ?
Je ne le regrette pas. Comme sur le Pacs, le gouvernement doit avancer pas à pas. Cette question cause des oppositions. Il faut ouvrir un débat, faire évoluer la société petit à petit, au fur et à mesure qu’évolue la science. On peut ouvrir un débat sur les nouveaux modes de filiation.
Pourquoi nous sommes contre la Gestation pour Autrui ! (GPA)

Les campagnes en faveur de la légalisation de la Gestation pour Autrui, sont de plus en plus insistantes. En juillet dernier, une agence américaine est venue à Paris proposer des bébés clef en main (choix des donneuses d’ovocytes sur catalogue, sélection des mères porteuses sur leur performances...). Exprimer un point de vue fort, résolument contre la GPA nous a semblé nécessaire dans ce contexte. Le Planning Familial, la Cadac, la Coordination Lesbienne en France partagent une position commune sur le sujet et communiquent ensemble pour mieux clarifier les enjeux de la GPA et argumenter contre sa légalisation. Il en est résulté un texte intitulé « Pourquoi nous sommes contre la Gestation pour Autrui ! » que nous vous communiquons ci-dessous et en pièce jointe.
Diffuser cette position dans vos réseaux serait une manière concrète de vous associer à cette campagne contre la légalisation de la GPA.
Aujourd’hui qu’en est-il de la GPA ?
Notre législation qui s’oppose à la commercialisation du corps humain et qui stipule, sans discussion possible, que "la mère est celle qui accouche" fait barrage au recours à la gestation pour autrui (GPA). Les tenants de la GPA s’emploient donc à faire sauter ces 2 verrous en relançant le débat en sa faveur à chaque révision de la loi de bioéthique. Des associations LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuelles et trans) s’y associent, défendant la GPA comme l’une des réponses à leur demande homoparentale.
Le public, lui, est partagé entre un sentiment de révolte face à ce qui lui semble choquant au plan humain, une tentation compassionnelle vis-à-vis de la dramatisation de l’infertilité et de l’incapacité biologique des hommes à porter un enfant et enfin une sorte d’oblitération critique devant ce qu’on présente, à tort, comme une avancée des méthodes de procréation médicalement assistée (PMA).
La GPA est revendiquée au plan thérapeutique comme palliatif de l’infertilité (sont évoqués les cas de femmes nées sans utérus fonctionnel) mais aussi, de plus en plus, comme demande sociale. Ainsi, le bébé "clef en main" répondrait à une demande homoparentale "gay". II constituerait une alternative aux procédures d’adoption parfois longues et aléatoires. Enfin, il pourrait satisfaire l’exigence de confort de certaines femmes en épargnant leur carrière et leur physique.
Une régression sociale constatée
Le revers de cette demande est une régression sociale féroce, observée partout où la libéralisation de la GPA s’est instaurée. Une véritable industrie de "location de ventres" et de commerce d’ovocytes se développe ainsi en Inde, en Ukraine et aux USA où des agences proposent une prestation aboutissant à la livraison d’un produit , "un bébé", avec choix sur catalogue des donneuses d’ovocyte en fonction de leur physique, sélection des gestatrices sur leurs performances et procédure juridique organisant la filiation.
Tout y repose sur un dispositif contractuel d’essence libérale qui spécifie les obligations et droits des deux parties : les critères de sélection de la gestatrice, ses obligations tout au long de sa grossesse, les dédommagements financiers, les conséquences de retrait du contrat avant terme… Il est symptomatique d’apprendre que les gestatrices sont, en Inde et en Ukraine, des jeunes femmes pauvres tandis qu’aux USA elles se recrutent parmi les mères au foyer, c’est à dire parmi les femmes sans revenus propres !
Face à ces pratiques perçues comme "choquantes" s’est développée une demande d’encadrement, dite éthique, de la GPA où les conditions d’accès pour les demandeurs/euses et de participation pour les gestatrices seraient fixées, non plus par contrat, mais par la loi. Mais, pour nous, cette démarche "réglementariste" ne saurait faire disparaître l’iniquité fondamentale de la pratique. Il ne faut pas oublier non plus que toute démarche législative d’ouverture de la GPA rendrait de facto cette pratique acceptable socialement.
Une vision de la société que nous ne pouvons partager
Derrière les arguments en faveur de la GPA se profile une vision de la société que, nous féministes et lesbiennes féministes, ne pouvons partager : l’épanouissement de l’individuE passerait par la mise en œuvre irrépressible d’un projet parental organisé autour de la sublimation du lien génétique. La société devrait s’employer par tout moyen, y compris en légiférant, à satisfaire cette demande, même au prix de l’instrumentalisation d’une partie de nos sociétés, les femmes et de la marchandisation de leur utérus et ovocytes sans égard pour les principes d’égalité et d’équité. Pour y parvenir, on s’appuie sur les ressorts classiques de l’aliénation et de la domination : la glorification de vertus présentées comme "spécifiquement féminines" telles la générosité, l’altruisme, le don de soi, le bonheur et le rayonnement de l’état de grossesse, figeant ainsi les femmes dans ce rôle traditionnel auquel on voudrait les soumettre. Qu’on arrête de jouer les vieux couplets de l’ère patriarcale. !
L’histoire, elle aussi, est convoquée pour tenter de prouver l’enracinement de cette pratique dans notre culture. A l’appui, des cas de dons d’enfant mais qui relèvent à l’analyse, soit de situations de subordination (Sarah et sa servante Agar dans la bible), soit de partage d’autorité parentale (confier un enfant à un couple infertile ou soulager une famille trop nombreuse en prenant en charge l’un des enfants). Qui plus est, ces exemples viennent d’époques où la justification sociale de l’existence des femmes passait par leur capacité de procréation, l’une des impositions du système patriarcal.
Un détournement des luttes féministes
Argument de choc, les gestatrices et fournisseuses d’ovocytes sont libres, avance-t-on, de cette liberté revendiquée par les femmes dans les années 1970. Voici un exemple typique de récupération et de détournement des luttes unitaires féministes. En affirmant "Notre corps nous appartient" il s’agissait alors de lever la contrainte reproductive que la société imposait aux femmes en permettant à toutes de pouvoir accéder à la contraception, à l’avortement gratuit et ainsi maîtriser la maternité. Échapper à cette astreinte devenait un "levier" pour libérer le corps des femmes, support d’oppression sociale et patriarcale. Avec la GPA, pas de volonté de libération collective, mais la mise en avant d’une vision strictement individuelle "chaque mère porteuse est libre de disposer de son corps", argument utilisé pour faire barrage à une réflexion sociale.
D’autres voies sont possibles
Loin de nous l’idée de juger, a fortiori de condamner, les individuEs qui en tant que gestatrices ou en tant que demandeurs/euses entrent, ou sont entréEs, dans un processus de GPA. Nous ne nous positionnons pas en moralistes, nous ne réfléchissons pas au niveau individuel, mais globalement au niveau de la société toute entière. Comme d’autres, ces IndividuEs subissent la pression de la société et le poids de la norme sociale qui imposent la parentalité dans le cadre du couple, de la sacrosainte famille, au besoin modernisée en y incluant le couple homosexuel. Plus que jamais cette norme est à déconstruire.   Ce qui se construit autour de la GPA est significatif de la progression de l’idéologie néolibérale qui, comme le montre Jules Falquet dans son livre « De gré ou de force, les femmes dans la mondialisation », fait de plus en plus entrer les femmes dans le rôle de femmes de service. Service qui se décline maintenant en service à la personne, service sexuel dans la prostitution et ici service procréatif avec la GPA.
De cela nous ne serons jamais ni les alliées, ni les complices
Pourtant, il est envisageable, en ouvrant le champ du possible et avec une vision progressiste de la société, d’envisager d’autres dispositifs ou de promouvoir d’autres pistes plus centrées sur la question du bonheur de l’enfant.
- L’adoption plénière accessible à toutes et à tous, aux homosexuels, aux lesbiennes, aux hétérosexuels …, à toute personne qui remplit les conditions énoncées par la loi, sans exigence de fonctionnement en couple ;
- La généralisation de l’accès à la PMA pour les femmes ;
- La possibilité d’une éducation collective sans appropriation de l’enfant par le biais de l’adoption simple, de l’accès à la coparentalité ou à la beau-parentalité.
Octobre 2011
Coordination Lesbienne en France (CLF)
Coordination des Associations pour le droit à l‘Avortement et la Contraception.


Les aspects juridiques de la gestation pour autrui en droit comparé ( SLD de Pierre-Henri BRECHAT) ; Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).
Nous avons comparé les aspects juridiques et éthiques de la GPA en droit international, européen et dans trois pays de l'Union Européen.
Les dispositions juridiques relative à ce sujet ne sont pas homogènes. La GPA n'est encadrée ni en droit international ni en droit européen. Il n'y a ni définition, ni cadre juridique. En France cette méthode de procréation est formellement interdite par la loi mais elle est pratiquée en clandestinité ou a l'étranger. Cela pose de difficultés juridiques concernant le statut et la filiation des enfants nés par gestation pour autrui a l'étranger. La Pologne ne possède aucune loi qui pourrait réglementer ce processus. Cela implique des abus et manquement à la protection des parties. Il faut souligner qu'en Pologne ce sont des femmes pauvres qui veulent être mère porteuse. En France ce sont les couples qui cherchent la gestatrice. La Grande-Bretagne a légalisée la GPA et il n' y a pas de problèmes de filiation et de statut pour l'enfant. Il y a sélection des gestatrices et des demandeurs, sans rémunération, mais il y a une indemnisation pour les dépenses pendant la grossesse.
La gestation pour autrui est pratiquée dans chaque de ses pays. En France avec la violation des réglés de droit et en clandestinité. En Pologne sans aucune réglé, souvent avec la violation droits de l'homme. En Grande-Bretagne la gestation pour autrui se passe dans les cliniques spécialisée avec le respect des droit les parties.
A point de vue éthique aussi il existe des différence liées avec la religion, la psychologie ou la moralité .
Les différences entre pays implique un ''tourisme procreatif'', la violation des droits la gestatrice et les parents intentionnels, allant jusqu'à ''marché d'enfant''.
En effet, on voit la diversité face à ce sujet en droit international, européen et dans trois pays de l'Union Européen. Il faut une harmonisation entre eux pour éviter des problèmes et des abus. Soit on interdisse la GPA, soit on la légalise en prenant comme exemple les États-Unis où les cliniques américaines seraient plus développées : ils ont légalisé et réglementé cette pratique, ils protègent les enfants de conflits de filiation et permettent d'éviter tout problème. En plus, les cliniques américaines spécialisées dans cette méthode possèdent des professionnels qui s'occupent de tout de la fécondation à la naissance d'un enfant. Cela permet pour les couples d'avoir l'assurance de créer sa famille.110(*)
Finalement les autorités internationales, européennes et nationales devraient réagir pour trouver une harmonisation. Dans le cas contraire, la gestation pour autrui peut devenir un vrai problème international pouvant, causer beaucoup plus de controverses et d'abus.




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