"L'aventure, c'est le réalisme de la féerie" (ANDRE MALRAUX)

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vendredi 18 février 2011

JAPON(S) 2009: INTERSTICES.






























































































La modernité est un concept européen; il désigne une posture de soumission approbative au présent, une projection détemporalisée vers l'avenir, un passage de l'historique au "mémoriel", cette amnésie en forme d'hypermnésie. La modernité est inséparable de la représentation "spectaculaire" au sens où Debord parlait de "société du spectacle"; une représentation...sans volonté, une négation de la réalité par impuissance à la poétiser et obstination à la politiser. La modernité européenne se trouve prise en étau entre les "mémoires" reconstruites et l'oubli. La modernité -ici plus largement occidentale- s'avère désormais incapable de rêverie sociale, c'est-à-dire d'utopie.


C'est qu'il manque à l'Occident l'art des interstices. Un art complexe au demeurant, supposant une relation collective étroite au Temps, une même esthétique sociale des lieux, le refus de la modernité pour la modernité, une certaine inclination à la nostalgie sans cette conversion au "rétro" qui est la négation même du passé, sa singerie. L'occident ou l'Europe? Les Américains -ce peuple faussement simple et vraiment inquiet, peut-être jusqu'à la nostalgie- conservent parfois l'art des interstices. Négligence des édiles, conservation instinctive des "traces", vieux sens de l'errance et du territoire hérités inconsciemment de l'héritage indien? Whitman comparait Manhattan à une forêt minérale et Paul Morand sera saisi, dans les années trente, par la juxtaposition de ses "essences". Les villes d'Europe délitent leur passé et se vautrent dans une modernité futuriste : Paris détruit méthodiquement ses quartiers populaires tout en en recréant parodiquement les formes de sociabilités -le syndrome du "bistrot" branché-; Barcelone démolit le "Barrio chino" et la "Barceloneta" par la rénovation chic et la muséification; Londres, Marseille ou Hambourg "réinvestissent" leurs anciens docks en y installant "galeries d'art" et "restaurants conceptuels",etc. Pour combien de temps encore New-york parviendra-t-elle à conserver les snacks un peu crades de Greenwich East et le vieux parc d'attraction de Coney Island autour des vieux immeubles de Little Odessa?


En géographie humaine, un espace intersticiel ou un habitat intersticiel désigne en clair un bidonville encastré dans un espace social normé (les favellas de Rio ou celles de Djakarta par exemple). L'image est évidemment négative.


Au Japon, pays hyperindustriel mais pays "flottant", les interstices font partie intégrante du "jeu social", jeu étant pris au sens ludique. Il s'agit d'espaces d'esquive, de lieux discordants, fortement individualisés, par rapport aux lieux collectifs "universels". Seuils des maisons -traditionnelles ou pas-, ruelles et impasses, espaces multiples laissés vacants par les superstructures de transport ( c'est très marquant à Tokyo, dans les quartiers d'Ueno et d'Asakusa en pariculier, restés très populaires), petites bourgades provinciales, en particulier thermales. Ces lieux, nichés au coeur des emprises urbaines, sont fréquemment très abîmés, sombres le soir et déserts, en dehors des gargottes et bars minuscules auxquels ils semblent dévolus. Une sorte de "squat" collectif officiel. Il s'y maintient et s'y transmet l'héritage d'une culture populaire vécue, nullement phantasmée ou "recréée", aux antipodes du "musée des arts et traditions populaires" de nos latitudes "mémorielles". Ces espaces polyphoniques sont les conservatoires d'un Temps "réel": pas de "rénovation", mais un bricolage approximatif -flottant- d'entretien léger, sans "lissage". A la périphérie des espaces plus normés -routes, avenues, maillages linéaires de la mégalopole-, ces endroits de défausse, ou de "dépense" au sens où l'entendait Georges Bataille, portent en eux une éthique sociale, comme une "leçon de Ténèbres".


"...Les petits temples campagnards où le bonze somnole sur sa bouteille de bière, bref dans tous ces lieux un peu deshérités qui rappellent ce que ce monde a de transitoire et de douloureux...où tout est encore possible, cette mer qui ne va plus nulle part, ces coques de chalutier qu'on racle en sifflotant sous un soleil pâle...ces lieux qui s'agencent et conspirent pour former un climat. Car ce n'est pas l'identité des choses elles-mêmes,mais par les rapports qui s'établissent concrètement entre ces choses, que des lieux qui n'auraient rien en commun entrent soudain en résonance dans une logique hallucinée et entièrement nouvelle". (NICOLAS BOUVIER).


Ces lieux intersticiels sont en effet propice à "l'asobi", c'est-à-dire l'amusement, le délassement, la jouissance de la disponibilité. Mais les Japonais n'ignorent pas et assument le fait que cet "esprit de plaisir" (asobi non seishin) recèle aussi cette "part d'ombre qui taraude la société et chacun de ses membres" (MICHEL MAFFESOLI). L'Asobi s'oppose aussi au "majime" ( esprit de sérieux), comme le monde du quotidien (Ke) se distingue de l'univers du non quotidien (hare). Ainsi, on dira que quelque chose de trop fonctionnel manque d'asobi! Ainsi, un "lieu animé" (Sakariba) renvoie-t-il à un sens à la fois fascinant et douteux! Les petits mondes intersticiels sont ici autant de "régions morales" entremêlées et fluentes, comme ces petites gargotes du Kiyota market, à la gare de Shinjuku, disposées de part et d'autres de minuscules venelles seulement éclairées par des lanternes rouges. Les salarymen en costume-cravate réglementaire s'y agglutinent au coude à coude, buvant, grignotant et bavardant pendant des heures. Dans cet univers chtonien, on imagine mal les sunlights et le trafic intense des avenues modernes, à une jetée de pierre. La mémoire ici ne réside pas dans les momuments, mais dans les moeurs. Compte ici le cheminement, plus que la perspective, la rue, davantage que la place, concept surtout occidental. La ville japonaise doit, elle aussi, renvoyer le reflet de l'impermanence bouddhiste et du renouvellement cyclique shintoiste. Dans ce "monde flottant" (Ukiyo), nulle place pour une mystique des ruines! On y pratique un surcodage perpétuel du moderne par l'ancien, opérant un progrès par englobement , sans déracinement culturel apparent, mais par une sorte d'ahésion constante au passé.






























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