"L'aventure, c'est le réalisme de la féerie" (ANDRE MALRAUX)

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vendredi 12 janvier 2007

TERRAINS VAGUES

LABYRINTHE (S)

…je me traîne dans l’appartement de la cuisine à la chambre de la chambre à la cuisine fenêtre grande ouverte d’où je fixe l’immeuble du 66 Tolbiac où j’ai vécu à la fin des années 1970 je grignote sans fin et pour finir je revois pour la énième fois le « Samouraï » de Jean-Pierre Melville le long plan-séquence de la traque dans le métro et Delon arrive à la station « Télégraphe » et quelques minutes plus tard (en temps réel et dans le film) les flics guidés par François Perrier (je veux dire le commissaire interprété par) l’attendent place des Fêtes dans une 404 noire équipée d’un « vrai téléphone » je veux dire par là un téléphone comme ceux que nous avions dans les appartements en ce temps là, alors je sors et je rejoins la station Télégraphe et là je remonte la rue de Belleville jusqu’à la porte des Lilas où se trouvent la piscine des Tourelles que je fréquentais peut-être avec ma mère dans les années 1960 (nous allions aussi à la piscine Lutetia près de l’hôtel où, l’apprendrai-je bien plus tard on regroupa en 1945 les Juifs rescapés des camps) et la caserne dont parle Genet dans « Miracle de la rose » immobile j’interroge les strates encore visibles de ce lieu aujourd’hui chaotique, je reprends la rue de Belleville et visite le petit cimetière du même nom où j’apprend que furent inhumés les « otages de la rue Haxo » dont, me révèle la plaque commémorative de « l’immeuble des otages », un certain abbé Planchat qui donnera son nom à cette rue longue et triste où vivait ma grand-tante Rosette et grâce à qui en quelque sorte je me rappelle alors que Rosette et mon grand-oncle Jojo habitèrent un temps rue du Télégraphe quand la maladie de Parkinson de Jojo et la mort de sa femme (la « tante Jacqueline » qui buvait en cachette et élevait des perruches dans leur petit logement de l’avenue des Gobelins) l’empêchèrent de vivre seul et ce souvenir soudain en libère toute une spirale dont deux visites à Rosette et Jacqueline dans cette très longue aussi et étroite rue du Télégraphe, la seconde pour la levée du corps de Jojo une expression tellement grandiloquente face au cercueil coincé entre le mur et le lit de la petite chambre et au corps arrangé très vite j’avais été frappé en particulier par ces filaments de gaze argentée dont on semblait avoir hâtivement enduit le corps un peu semblables aux « cheveux d’ange » dont on recouvrait les sapins de Noël à Bagneux dans les années 1950 quand Jojo travaillait comme chef de rang dans une brasserie de la gare de l’Est, est-ce pour rejoindre la rue Planchat que, descendant encore la rue de Belleville, je ne peux m’empêcher de bifurquer vers la rue des Pyrénées pour revoir encore une fois la maison de ma petite enfance toujours fermée scellée presque et surtout au premier étage les fenêtres aux volets rouillés de la grande pièce en alcôve où on me faisait dormir je glisse un regard par la petite grille d’entrée ouvrant sur le jardin dévasté presque rouillé lui aussi dans sa sauvagerie et j’aimerais trouver un témoin de ce temps là pour me parler de moi comme cette vieille dame à Salbris qui se souvenait d’un « beau petit garçon aux boucles blondes » mais je ne rencontre que des ombres furtives, où manger maintenant (je ne mangeais rien paraît-il quand j’étais enfant) ou pour mieux dire dans quelle atmosphère alimentaire souhaitai-je me placer kebab lointain où ces « plats du jour » dont j’affectionne particulièrement les œufs mayonnaise et le navarin d’agneau toute une ambiance culinaire qui va disparaître comme ont disparu les marchands de couleur et les hôtels de passe impossible de choisir de décider alors descendre et découvrir la longue rue des Cascades vallée étroite et profonde à flanc de colline et d’où on aperçoit en contre-plongée ces immeubles de rapport hauts et étroits avec parfois encore du linge aux fenêtres cette rue qu’on pourrait dire solitaire (une autre rue, longue et étroite débouchant sur la place de Fêtes et dont parle Eddy Mitchell dans une très belle chanson, porte d’ailleurs ce nom) immortalisée par Yann Tiersen, me jette, nu, dans les flash-back obscurs et lumineux de ma « période anglaise » ou « époque Natacha » si je donne à mes vies les noms de mes compagnes de voyage puisque autant jeté je le fus dès cette petite enfance par le premier et le plus terrible des désamours donc renoncer à manger s’inventer pour quelques heures un corps de souffrance en vain la signalant et descendre encore sans doute vers le Boulevard Voltaire à gauche cette grande église blanche ressemblant à un petit Sacré-Cœur où Sylvie Bretteau fit peut-être sa première communion mais je ne sais plus si c’est à cette occasion qu’on m’acheta un blazer gris, un pantalon de tergal et des chaussures noires en revanche je fus à cette occasion encore une fois émerveillé par la lumière ombreuse ou l’ombre lumineuse et la conque sonore et le mystère des gestes et des paroles inconnues étrangères et disait-on chez moi hostiles de l’Eglise même si, en ce temps là (la première moitié des années 60) je m’imprégnai pour longtemps de l’univers mental des miens et par exemple je sais avec précision que c’est à l’Alhambra une salle de music-hall du boulevard Jules Ferry où Sylvie habitait avec ses parents que Jacques Brel donna son récital d’adieu auquel les miens regrettèrent longtemps de n’avoir pu assister et bien qu’en disant « les miens » je pense d’abord et surtout à Jojo Rosette Maurice mes grand-mères Marguerite et Suzanne et « tante Mimi » à qui je pense en arrivant face au 34 du Boulevard Richard Lenoir où elle occupait dans un immeuble en angle un deux pièces sur rue et cour maintenant bardé de digicodes et d’interphones pour protéger les âmes grises des jeunes ménages branchés enrichis par le commerce du vent et d’où je l’imagine en ce dimanche lumineux partit un matin de 1963 1964 ou 1965 sans doute tout aussi lumineux mon grand-oncle Maurice Baguet (dont le nom sonnait presque comme celui du violoncelliste montagnard Maurice Baquet) amoureux lui aussi des montagnes pour sa dernière ascension celle de la colonne de Juillet du haut de laquelle il se jeta et c’est un autre Maurice d’ailleurs, Maurice Suss qui vint à Bagneux nous annoncer le suicide et que Maurice (l’autre) était venu s’empaler sur les grilles qui entourent la colonne mais qu’on avait rien dit à Mimi quand elle était venue reconnaître le corps à l’Institut médico-légal et toutes ces expressions des grandes personnes, ces expressions aux sonorités graves « levée du corps », « reconnaissance du corps »…firent tout à coup irruption dans ma vie d’enfant déjà soucieux et grave et s’incrustèrent pour toujours dans ma mémoire avec tous le visages et tous les lieux comme si m’était échue depuis toujours la vocation de gardien de l’Etre mais au détriment du mien et qu’avec mon enfance avait débuté une grande initiation au témoignage et à l’accompagnement du monde même si d’abord me furent transmises toutes les valeurs pour le changer et bien qu’assez rapidement je réalisai ou eu vaguement conscience que je resterai aux lisières des idées et des postures comme en témoigne ces fascinations pour la conservation des lieux et des traditions ou mes cercles de plus en plus rapprochés autour des églises aumôneries chapelles monastères là ou des hommes et des femmes conservent eux aussi la mémoire des croyances millénaires et c’est sans doute à cette vocation d’archange impuissant que je dois quelques jours plus tard d’avoir réveillé une nouvelle fois en moi le Juif assoupi à côté de ses valises jamais défaites en empruntant à la bibliothèque (la médiathèque en fait mais je ne me résout pas à cette appellation pacotilleuse) le roman de Modiano « Dora Bruder » à moins ou parce qu’aussi le nom de Modiano évoquait la nostalgie des lieux disparus (je veux dire les thèmes du romancier mais encore la sonorité de son nom proche de Médrano ou Moreno, Medrano renvoyant au cirque qui passe et Moreno à une actrice ou chanteuse de variétés des années 1930 1940) et/ou que je cherchasse une voix d’autant plus fraternelle (« Bruder ») qu’elle faisait revivre comme l’annonçait la quatrième de couverture une de ces jeunes filles juives qui m’ont toujours fascinées mais aurais-je pu imaginer que Modiano m’entraînerait ou me ramènerait au XII° arrondissement qui fut mon premier arrondissement de jeune homme indépendant mais aussi de lecteur d’atmosphères pour qui Picpus reste le quartier de Maigret même si le commissaire habite en fait comme ma tante Mimi boulevard Richard Lenoir et l’arrondissement où je fus instituteur rue de Wattignies rue de Pommard avenue Daumesnil au temps du « Docteur Westerman » notre médecin juif qui le premier me parla incidemment de la Russie mais aussi à la caserne des Tourelles où Dora Bruder est internée à l’été 1942 avant son départ pour Drancy et la Pologne un an avant un autre de mes passeurs Jean Genet et bien avant que ma mère m’emmène à la piscine du même nom quelques années seulement avant que je ne m’adonne moi aussi par désarroi de solitude à ces larcins pour lesquels comme Genet j’espérai au fonds une punition humiliante et si possible destructrice et que comme Genet je commettais à l’occasion de mes errances les miennes moins lointaines du moins en ce temps là errances en forme de fuites ou de fugues car subliminalement ce sont peut-être les fugues de Dora Bruder qui mon séduit ses envols inconnus et l’invention d’un territoire unique dans les interstices du territoire commun au point d’ailleurs que lisant Dora Bruder de Modiano on ne sache plus très bien au fil des pages s’il est question d’elle ou de lui et bientôt de moi tant il est vrai que les fous de mémoire se retrouvent au-dessus des temps indifférents à l’avenir découragés par le présent fascinés par le passé et persuadés que cette impuissance à avancer dans le temps les fait moins vieillir que les lieux mêmes dont ils surveillent méticuleusement les usures et les effondrements comme ceux de l’opéra Bastille déjà altéré par le temps et dont la décadence secrètement par moi scrutée me restitue le cinéma Rex dont il occupe la place et où vers 1967 ou 1968 j’ai vu « Le rapace « de José Giovanni en compagnie de mamie Suzanne et de tante mimi et le grand café où j’avais donné rendez-vous à Pascale Lechenet quinze ans plus tard pour notre première et unique rencontre elle tremblait un peu et ses cheveux sentaient bon un peu plus tard sur le boulevard Richard Lenoir encore en face du cinéma Barbizon elle m’a demandé ce que je penserais si j’apprenais qu’elle n’aimait que les femmes et nous sommes remontés vers le boulevard Voltaire pour dessiner un nouveau labyrinthe ou reprendre le mien c’était aussi le temps de François Mitterrand et de la gauche j’essayais encore de croire à l’Histoire mais j’ai oublié de dire qu’à la Bastille j’étais venu le 10 mai 1981 et maintenant je ne revois que mimi, Maurice et Pascale et Lino Ventura qui grignote des oignons doux dans les premières minutes du « rapace » de José Giovanni…

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