
POEMES DE CLERMONT
I
toujours il y a le soleil dans ses cheveux, un labour
d’or , il est rassurant comme une pierre
dans l’eau du torrent, plus au Sud, un parcours
loin de Fitz, Creil et Montataire, l’étrange été
que nous oubliions nos repères
tandis qu’un peu partout la guerre
s’amusait à nous épargner.
Clotilde, Eric et Vincent écrivaient
Le bras courbé sous les paupières,
Des enfants comme il y en a un peu partout sur la terre
Sans compter ce sourire un peu flou
Ségolène,
Un trèfle d’ombre près du cou
La bouche, lame et les yeux doux
Tandis que claque le rideau, notre spinnaker
Sa robe,on dirait de satin clair
La taille ancienne, de satin clair, on le rêvait.
La terre est chaude
En plein midi de l’hiver
Là-bas, les jardins veillent au flanc des hunes collinaires.
Sous les arbres, des gosses égarés se terrent
Espérant, espérant encore
Que le vent dispersera
Les feuilles noires des patriarches.
Et Ségolène se déplie sur les marches
Elle confond sa chair et l’espace
Et cet espace s’ouvre, on dirait un fleuve à son écluse
Tandis que tourne, tourne Ségolène dans la cour
prairie occluse
où gypsent les ados, droits déjà ce sillon des visages
et je souris à Ségolène
et Ségolène me sourit, nous en sommes à la même page
d’un texte saint et maudit
qui confond la chair et l’espace
en plein midi.
Autour de nous traînent nos rôles
c’est drôle
de n’être soudain que baisers,
et ces paroles du travail, phonie que mon cœur détourne
en aparte.
Dans la cour où l’on se tient toujours
Toujours il y a le soleil, et cet amour.
Il est rassurant comme une pierre
Loin de Fitz, Creil et Montataire.
Il y a près du rideau noir, notre misaine
Une fillette, j’ai dit Ségolène.
Droite, on la croirait taillée dans le bois, un totem
D’or, quand le soleil prend la joue
de Ségolène.
II
LES FIANCES.
A P.L.
Des jonquilles ou peut-être des cyclamens
comme en cueillir au dessus des rivages,
vous habitiez cette maison à étage
noire et lisse, mon adorable quarantaine.
Vous hantiez aussi mes pensées inconstantes,
vertes et blanches, en contrebas du portique
on dirait que le temps est suspendu sur les pentes,
où se rejoindre est une épreuve pathétique.
Bourguignonne et vous riiez en parlant des vins lourds,
robe à peine levée sous le pointillé du corps, une alerte,
nous restions là, murés ou sentinelles sans le vouloir qui désertent
pour un temps, car les mirages aussi sont des discours.
Vôtre, tienne ? Je rêvais d’une chambre, le linge est rangé dans
l'armoire,
le lit est fait, un drap marqué, des initiales, et plus loin et plus tard
peut-être, à l’oreiller blanc votre empreinte, puis la nôtre, vous
aviez peur
et j’avais peur, et puis tu m’as montré ces poupées brunes à contre
coeur.
Parfois je vous suis des yeux, étrangement vous êtes sur la terre
et au dessus d’elle,
souvent je dis votre nom à voix basse, vous m’en devenez chair
vous, citadelle
vous, navire, étrangement debout devant notre océan, cette plaine.
Plus loin il y a les souvenirs de pierre des combats
des citadelles, et je rêve de mettre mon pas dans vos pas…
Des jonquilles ou peut-être des cyclamens
comme en cueillir au dessus des rivages,
vous habitiez cette maison à étage
noire et lisse,ô ma précieuse lointaine.

Peintures:
-CASORATI; "Jeune fille jouant sur un tapis rouge".
-LEONARD DE VINCI; "La dame à l'hermine".
III
Loin de Clermont
C’était loin de Clermont
les ballasts donnaient à entendre l’imminence du retour,
nuit enfin où se lisait dans mes mains blanches un livre d’amour,
derrière la vitre un ciel lourd sur des monts.
Car le ciel de nuit ou ce qui sera la nuit est sans nuages,
sauf des salves grises, là-bas, bruits du bar corail,
mais ne n’est pas le ciel, vous direz,
comme vous direz qu’un voyage vaut un autre voyage-
« Vous connaissez Hendaye ? »-
je n’ai rien su lui dire de moi mais son sourire en levant la main-
« Jorris, V.R.P. »
car les amis de la nuit et ce qu’était la nuit et l’amitié sont un mirage.
Vous disiez que la bière ici ne vaut pas celle de là-bas,
tandis que passaient maintenant des enfants, mais vous savez, qu’un sommeil a blessés,
leur main tient une main baguée qui tangue, nous sommes au cœur des triages
Et vous disiez, c’est idiot entre hommes cette question du vivre et le métier et l’âge,
parfois nous nous taisions et il y avait des lumières sur les toits
ou une ombre d’homme que découpait notre jet sur la terre, vôtre verre a vibré.
Vous disiez que votre femme ici valait aussi celles de là-bas
mais c’était déjà loin dans notre parler, un peu au dessus de la ville,
un peu dans une amitié.
Le train a ralenti entre deux falaises humaines,
Comme un coureur tisse son souffle il a jeté bas ses fournaises inodores,
Maintenant la lumière décline, votre verre tombe mais tout est indolore,
sur le quai vous ne saviez que redire votre nom,
je vous ai souri et maintenant nous marchons
sous des barres noires qui mènent à des sunlights,
Joris…
C’était loin de Clermont, le train meurt et repart sous le regard des agents,
alors, remaquillé de brume il est pour d’autres hommes un autre goéland.
C’était loin de Clermont,
et dans mes yeux, tous les ciels lourds et ces réponds
des ballasts comme une Annonciation,
nuit enfin où se fermait dans mes mains blanches un livre d’amour.

ORIENTATIONS I
Si tu cherches ta route,
ne regardes dans les yeux
que ceux qui ont un regard.
Si tu trouves un regard,
tu peux baisser les yeux :
tu as trouvé ta route.
ORIENTATIONS II
Oh ! ce que j’ai fais de ma vie,
rien d’autre que de regarder le monde
dans les yeux,
enfant cherchant dans les crinières
du vent et de plus hautes étoiles
un ordre flou, loin des saisons hauturières ;
oui je dessine ma vie comme
on caresse la joue des torrents.
Orientations III


Comment se tenir entre l’indigénisme et l’indifférence ?
Etre leur Segalen, leur Lawrence et je devine en eux déjà une émotion de
trahison
plus magnifique que la haine et c’est la haine
que leurs yeux noirs nous renvoient quand nous désirons
au dessus d’eux, c’est-à-dire contre eux les déserts et
la lune dans les fleuves en sueur qui mènent à des
villes blanches où nous excisons leur âme avec des
impressions d’Occident.
AU BORD DU CIEL
Portage : porteuses aux bandeaux.
Enfants : cheveux noirs, linges rouges,
robes anciennes et boueuses.
La route de crête.
La plate-forme où nous dormions au village
Karen.
Sim accroupi au bord du chemin avec
son sourire et sa machette.
Les porteurs assis en rond un peu
à l’écart de nous.
La route-torrent.
Les couples de papillons.
Le buffle noir dans la sentine rouge.
Le petit pavillon au bord de la rizière.
L’orage en avalanche avançant vers nous de
gorges en gorges.
Les eaux.
Portage : porteurs sans un mot.
Femmes : robes de fer et d’argent
et les hommes portent les enfants.
ORIENTATIONS V
A L’OUEST RIEN DE NOUVEAU.
Oh vous les grands oiseaux de mer
à moi !
et vous les grands animaux des jungles bleues
les derniers, qu’avant le Grand désunir vous me léguiez
votre violence comme un sampan
sur la mer de Chine, la lumière lointaine,
quand je ne serai plus rien d’autre que mes rêves désincarnés
mais je voudrais naître encore
et dessiner encore des bricks-goélettes sur des cahiers d’écolier.
Mais j’habite à Paris place d’Italie,
tous les matins les gens s’affairent pour ne pas s’entre-tuer,
dans les cafés tu n’entends plus le son de la cuillère dans ta tasse
çà choucroute des clips au dessus des poivrots, les derniers.
Oh vous les marchands d’Alep les vieux très blancs contre le bleu des arcades
-Ramzi essayait mes ray-ban, on attendait des voyageurs-
au milieu de la cour aux ablutions j’étais assis en tailleur,
Oh vous la liquide la blonde et dorée ma grande mosquée des Omeyyades !
Et rouler, rouler, dérouler la tresse brune de la route jusqu’au Krack
où des enfants aux yeux très noirs gardent en riant la mémoire de Soliman,
ma soif est mauve quand nous atteignons les longs faubourgs de Jerash
un soir j’ai marché sans fin dans Damas du Barada au vieux Maristan,
mais toujours en boucles de sueur je revenais à la petite gare du Hedjaz
salut Lawrence sans voiles et qui m’attend mon vieux complice foudroyé
ta tombe à Moreton ressemble à celles des enfants dans les cimetières de banlieue
étroite et qui fut blanche, de cette blancheur noire qu’on ne voit qu’à l’Orient
du monde, je me revois jeune homme un peu fertile apprenant la physique des lieux
ces ailleurs qui me fondent en pointillés dans l’ombre et tous les poudroiements,
sur le plateau du Hauran j’ai vu Dieu pisser son sang et des incertitudes guerrières.
Oh vous les gosses sales, magnifiques d’ordre et vos crinières
laissez moi caresser le son rugueux de vos esquisses
au loin des femmes comme des mirages tremblent et puis se glissent
sous des tentes de sable près des marches princières.
Comment dit-on « je t’aime » en araméen ?
Me voici séparé pour longtemps des réponses indiennes
partout des sons aveugles et des écrans sourds
crachant de loin en loin des nouvelles connues,
rien à attendre de nos Juifs ils ont perdu
la Terre Promise en tarifant le Yom Kippour
et des yeux sans regards et des voix sans haleine
partout des vies prévues et des rêves balourds
et la jeunesse en laisse laisse le monde aller
ses chemins de disgrâce et fléchir la beauté
oui, j’habite la France à l’Occident de tout,
rien de nouveau à l’Ouest sauf l’import-export,
à ne voir l’univers qu’en kit et « à prix doux »
comment pourrions-nous être le voyage des morts ?
Comment dit-on « je t’aime » en nabatéen ?
Damas.
LES CHAPELLES IMPARFAITES;



Pour Antonin.
Regardes, voici les rochers noirs
Coupants, terribles- tu y sautais paumes ouvertes-
Regardes, ils sont aussi la mer
Des blessures profondes comme les creux profonds des océans,
Aux seuls enfants nés d’un immense silence de paroles transmissibles,
Tu leur prends la main ils t’accompagneront dans tous les ports,
Les lointains,
Regardes les lumières, puissions-nous toujours avancer dans l’espace,
Là-bas,
Etonnes-toi du monde par nous advenu et par nous seuls,
Il n’est d’éternité que celle de nos songes et s’il fait froid,
Je te réchaufferai et nous lirons le soir dans une chambre haute
De très beaux livres.
Anvers ouvrait à l’aube les rails des premiers trams
Contre le tissu lourd de l’Escaut,
Dors Juju, dors profond derrière la herse fragile de ma nuque
Je t’emmènes,
Plus tard nous prendrons les ferries rouges des îles méridiennes,
Les poings serrés dans ton blouson je te regarderai courir sur les quais,
Je te regarderai et nous nous sourirons songeant au temps qui reste
Et de grands oiseaux passent frôlant de l’aile les rouilles maritimes.
Expatrié de mes fantômes, oh ! la pureté dans le goéland de tes doigts,
Hambourg simple escale mais planter tes yeux noirs
Sur l’emblème des grues dormantes, les ressacs d’huile,
La difficulté métallique des appareillages ;
Nous reprendrons la route vers Lübeck- que reste-t-il de la Hanse ?-
Quand, émerveillés, nous rejoindrons la Baltique- le mot, la mer-
Je te dissimulerai mon désir et ma peur des frontières en armes comme
Des terres promises,
La sévérité épuisée des douaniers galonnés de souvenirs rances, plus loin
La Russie dormirait dans son grand couffin de mirages
Et s’il me faut alors pour tuer du temps des femmes, ces passantes-passeurs,
Tu t’éloigneras un peu, jonglant de quelques pierres blondes
Sur de très courtes plages en amont des tours.
Car je t’aurai légué des châtellenies des seigneurs des Moyen-âge et
Tous les pont-levis d’or, dors
Si près, si loin des beaux combats les bestiaires lances et hauberts tout
Encapuchonnés de brume,
Un peu avant Gand on pressent des cavaliers plus ou moins imaginaires,
Plus tard dans la nuit les camions glisseront en ordre de bataille,
Oh ! ces autres chevaleries derrière l’armure givreuse des pare-mort,
Voles, voles mon Juju rien ne vaut davantage que de voler et de voler
Encore, et ton éveil derrière la chapelle de mes épaules et
Pour nous nulle épreuve hormis la voile qu’on abat.
Dans les petites villes les enfants nous regardent, cette pauvreté tassée
Entre le métal froid du trottoir et de vieilles écharpes, vois la planète
De leurs regards et
Par quels signes,
Incrédules,
Nous signifions-nous la fraternité, la gêne, toi les yeux grands ouverts,
Maintenant je roule très lentement entre des collines, tu m’interroges et
Il y a plus ou moins toujours des montagnes, un mystère de loups
Et très haut dans le ciel des avions conquérants,
Des tours surplombant les fleuves, toutes les traces, les calcaires, les
Meulières coupantes des traces ou leur émoussement, l’ordre approximatif
Des vestiges, les palais et au plus haut point des plus hautes villes
Ces chapelles, oh !, les traces, les traces d’avant !
Mais rien n’est plus puissant ni plus doux qu’un rivage
Et livrer bras tendus notre pain de passage
A l’attente des grands oiseaux établis aux amers
Voyager à l’enfant c’est toujours aboutir à la mer.
Rien de plus beau si ce n’est le système des forêts
Le gypse de la peur, les épées de soleil puis cet exil bleu des clairières
Dans le frôlement des bêtes imaginaires,
Le calcul tremblé des grands itinéraires, la cueillette et la fabrique des
Bâtons, noisetiers, l’usage écrit du lance-pierres, survivre ici, Robin de
Huxley, Lancelot, Ivanhoë, Merlin dans l’haleine brune des humus,
L’émerveillement des trouées offrant l’enmoussement des douves,
L’adoubement des averses, l’ordonnancement fébrile des tanières et
Ces voûtes de chênes comme des carotides millénaires.
Repartir, sa préparation, sa part de folie,
Choisir le Sud en rêvant à des Nords,
Glisser ainsi de ville en ville, de plaine en plaine sous les yeux la
Fatigue lépreuse et des soifs mesurées,
La nuit des jours, la lumière de grottes et l’aube des grands cargos
Les mines, des pontons, tout ce langage d’être
T’ai-je appris à passer la disgrâce des ruines ?
Voyager à l’enfant c’est toujours aboutir à la mer
Car rien n’est plus puissant ni plus doux qu’un rivage
Et livrer bras tendus notre pain de passage
A l’attente des grands oiseaux établis aux amers.
On roulait vers le Nord
Un jour nous irons en Norvège
Je me souviendrai des grands avenues glacées de Thessalonique et
Cette photo où tu regardes fixement des souvenirs de souvenirs de
Montagnes, toujours en deçà de ta faim,
Ces mauvaises cartes postales de Salonique, tout ce qui reste d’un
Rêve de rêve de ville
Ah ! ces rêves précis, ces immensités, toujours, quand nous quittions
Des villes,
Ah ! quitter, et puis revenir, longtemps après, sans bien savoir laquelle
De tes compagnes s’efforçait de suivre ton texte, tes lignes de fuite, lequel de tes
Enfants refusait d’avancer (quelle poussette avions-nous oublié ?) ,
Demandait à boire, effrayait des oiseaux,
A moins que la ville de tout temps n’ait été que pour toi seul, sans même le
Chant d’une femme, ou dans le simple appareil du souvenir d’un chant
Et chercher follement
Quel négociant tu aurais pu être, ou musicien des rues ou soldat,
Ce que tu fus sans doute dans les paragraphes du Temps,
Mercenaire dans la peur d’un peuple oublié,
Ferblantier perclus de dettes rivé à des commandes princières,
Caravanier nu écrivant son désert sur la partition de ses tentes,
Vagabond dormant le long des fleuves sonores ou
Femme, qui sait, enfantant des croyances drapées
Ou quelque grand seigneur déclassé par l’Histoire,
Enfant partout autour du monde avec au bout des doigts
Toujours ces pétales de tissu et des insectes morts ou
Paysan sur des terres étrangères,
Marin perdu léguant aux putes des royaumes déchirés
Ah ! les mains des hommes contre le bleu du ciel
Dans la fausse géométrie des citadelles
Je me souviens de ce soldat syrien
A qui j’ai appris, honteux, le nom de Saladin
Il y a des peuples comme ça à qui on a ravi jusqu’à la connaissance
Même de leur gloire,
Mais comment restituer sans trahir ou condescendre et
Un cheval noir galopait dans les fossés du Krack
Et le système de l’eau et la beauté des oasis, connaissance intime
Du Vivre
Mais nous repartions toujours
Juju, quand tu iras à ton tour à Damas,
Dis-leur que tu es le fils de
Celui qui pleurait le soir en écoutant la houle des grands khans
Dis-leur
Que j’aurais tant aimé préciser mon amour
Dans la langue d’Ibn Battuta
Et lis un jour, sur tes routes, les vers d’Omar Khayam
II
Je me suis imposé un travail d’exil
peu lointain mais très théâtral
qu’y-a-t’il en moi de vrai si ce n’est
le crucifix de l’abandon le déploiement des reconnaissances
mais j’aime aussi l’appareillage des mouettes le lent éloignement des cales
Dover le soir noire et blanche une idée de seconde patrie
mais ma mère m’attend avec ses banderilles
quelle idée aussi de vouloir toucher le ventre des petites filles !
Enfermez-moi je suis un enfant pervers,
enfermez-moi au plus haut d’une tour
d’où je verrai partir des voyageurs sourds,
enfermez-moi je suis un serial lover.
Je crève à petit feu
d’avoir au fond des yeux
cet « Hugo tenant de son exil
des enfants de cinq ans travaillant dans les mines »
et de savoir depuis peu
qu’on peut jouer à être lépreux
regard noyé regardant vers les côtes des France
mais la barbe est taillée et la pause très dense
vieil Hugo beau sponsor de toutes les enfances
il aurait fallu ne pas visiter Hauteville House
ta cuisine nickel taguée de grands « H » tranquilles
garder Cosette et Jean Valjean sans tes histoires de fesses
mais les grands hommes n’ont pas de très belles faiblesses.
Me voici de nouveau dans l’obscurité du dehors
trahi sans traîtrise et traître sans trahison
Dover s’éloigne je ne suis ni Hugo ni Gavroche
et bien sûr pas du tout Guillaume le Conquérant
qui fit bâtir cette tour à Rougemont Castle
ni dans la ronde de ceux qui, très habillés,
sont reconnus et vont du pas des maîtres
écouter l’office de seize heures à la cathédrale
bohémien sans Bohême et nomade sans caravane
cavalier sans cheval et marin sans la mer
présumé coupable me voici en désordre de bataille
marcheur démarchant l’amour et qui s’encanaille
de loin en loin comme d’un chemin de croix
avec des putains de moins en moins solitaires
à Anvers j’hésite entre l’Escaut et le quartier des filles
taches noires derrière les rideaux des petites maisons blanches
tout est toujours derrière la gare
les animaux jugés et ces confins des villes où dorment
des hommes en terminance dans cet autre exil
ceux là qui mangent de mauvaises choses
les petites gens dont l’histoire m’est chère et insupportable oui
tout ce qui m’est chair est toujours derrière quelque chose et
je crève à petit feu
d’avoir au fond des yeux
ces déploiements ces oriflammes
alors j’ai demandé aux femmes
de nous tenir par les yeux
et ta main, là, dans mes cheveux.
Vivre est un bien étrange navire
Moi qui suis si peu capitaine
Celle là et bien qu’elle advienne
A tout prendre il vaut mieux en rire.

PETITES ESQUISSES A LA MODE ORIENTALE
« Le premier habit de mon enfant
est une petite terreur ».
ISSA
L’arbre me fait signe
de l’indifférence des mouettes
filant par-dessus notre toit.
Nous tenons la main des enfants très longtemps
donner la main est une image
ils s’échappent ou jouent à s’échapper
puis reviennent d’une certaine façon se blottir
la plupart du temps nous faisons notre travail, nous les rabrouons,
mais c’est aussi pour ne pas trop nous avouer le désir de les garder.
Les anoraks de mauvaise qualité ne sont pas seulement
le signe de la pauvreté mais aussi et surtout celui de la
tristesse les gosses laissés en portent toujours de trop petits
ou de trop grands et ils ont toujours froid rentrant la tête
dans les épaules et enfonçant profondément leurs mains
dans les poches trop étroites mal foutues derrière eux
il y a toujours des petites filles très soignées et des immeubles
H.L.M. des marchés couverts et des voix cristallines.
Que celui qui, croyant régner sur la terre,
ne trouve aux escales que des ruines,
ne pouvant établir autour d’elles que des songes,
fasse légèrement profession de silence et de paraboles,
s’isolant chaque jour un peu plus des hommes à
mesure de ses visions brusques et brèves ;
celui-là pour toujours venu d’une très courte histoire
approximative puisse-t-il différer le jour de toutes les morts
puisqu’autant, établi dans son corps affublé de grelots sales,
il ne fait que dispenser à quelques-uns son amour,
la ténébreuse perdition.
Les feuillages des arbres faseyent
comme des voiles déventées
notre bateau de granit ne parvient plus à
prendre la mer
attentif à sa durée physique
l’équipage oublie la grande insomnie de la mer
et notre maison immobile me fait penser
à ces cales de radoub où meurent les grands cargos.
Prends une plume
écris un oiseau, puis le dessines
rencontres l’oiseleur
puis cherches en feuillages ses oiseaux
puis reviens et chantes et accompagnes des yeux
au dessus des collines les liserés de l’envol
puis refermes le livre
et t’endors.
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