"L'aventure, c'est le réalisme de la féerie" (ANDRE MALRAUX)

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mardi 26 août 2008

ANGLES MORTS (POEMES 1983-2008)



LES CHAPELLES IMPARFAITES


III

Les bastingages.




Mon père allait souvent aux « Cent mille chemises »

on m’emmenait

aux « cent mille chemises » on vous met très à l’aise

on allait aussi chez « Blaise »

mais rien m’allait.


Enfant j’ai vu le monde entier.


C’est marrant j’ai eu quinze ans pas très longtemps après la guerre

rue du Temple 5° étage face wc à l’étage for ever

Mamie gardait religieusement

des souvenirs de l’autre guerre des souvenirs épatants.


Enfant j’ai vu le monde entier.


Voici les deux frangins très flous taisant leur agonie derrière les cadres noirs

Il y avait je crois du buis fané sous les médailles

c’est moi que je voyais poitrine ouverte à la bataille

très beau et l’assaut la douleur l’espoir

chez les petites gens

on est très sérieux

quand on a quatorze ans.


Enfant j’ai vu le monde entier.


Voici l’urne de fer d’où je sortais en rêvassant de formidables monnayages

et la loupe à ouvrir aux très vieux la porte étroite de l’Histoire

le plain-chant des cartes postales, baisers de la Bourboule, amitiés d’Issoire

le soir je m’endormais les yeux lestés de très petits appareillages.


Enfant j’ai vu le monde entier.


Paris en ce temps là aérien lent gracile était très campagnard

que nous quittions en juillet Mamie Mémé et moi

on allait au Tréport je suppose par la gare Saint-Lazare

le métro ressemblait terriblement à ces tortillards de

province, des vieilles marrantes avec leurs cabas

à chaque station un poinçonneur des Lilas

à l’arrêt du bus rue Sedaine on prenait des tickets d’attente en papier, des tickets longs et blancs

ma grand-mère s’arrêtait toujours chez « Canone » même quand on rentrait tard.


Enfant j’ai vu le monde entier.


Voici la presque cendre des souvenirs, des souvenirs sans chichis

le dimanche soir on rentrait à Bagneux ligne porte de Clignancourt porte d’Orléans

moi je rêvais de prendre porte de Montreuil mairie d’Issy

puis le bus 128 moins deux c’est le 126 Vanves-lycée Michelet

au fil du temps le logement social aura grignoté les chemins creux les maraîchages

il y a les emballages des gâteaux qui changent et la ligne des autos les appareils hors d’usage

un jour tu te surprends à ne plus t’inquiéter pour tes billes la carabine à flèches les osselets

dans le soir outremer noir rouge j’escaladais en ricanant l’échelle de mes peurs.


On a du mal plus tard à imaginer ce que pouvait être un dimanche soir en banlieue

Il y avait à coup sûr le film « au poste » des odeurs de cuisine le bruit des couverts

l’idée du matin à venir chocolat café noir partir la pluie mon vélo les yeux ouverts

je sortais dans la nuit déjà noué inquiet seul l’éloignement tchao salut adieu

le jour se levait entre Chatillon et Malakoff et moi petit branleur

petite chose humaine et grand capitaine je souriais aux anges interdits

oh Mamie ! Mamie tes matins étaient-ils plus que les miens laborieux et précis ?


Toi tu lisais « Découverte du monde » tu partais immobile avec les Mahuzier à Bora Bora

et Paul-Emile Victor Haroun Tazieff Francis Mazière le samedi au Kinopanorama

a Turbigo tu changeais direction l’Ile de Pâques retour par les mers australes

Papeete les Galapagos l’archipel des Vanuatu

dimanche on se tire Mamie ni vu ni connu

je laisserai derrière moi les fillettes très pâles

et tu ne seras plus ouvrière

craché juré on leur dira qu’on s’est paumé

entre Marly et le Cap Vert

tu sais c’est sûr demain Mamie

je serai Lawrence d’Arabie.


Enfant j’ai vu le monde entier.


Mon père allait toujours aux « Cent mille chemises »

ça m’emmerdait

aux « Cent mille chemises » j’étais jamais à l’aise

alors on allait chez « Blaise »

mais rien n’allait.


Un jour de mille neuf cent soixante deux on est parti avec monsieur Deguelle

au Havre après on a pris un bateau pour Dieppe

ça tanguait on parlerait bien sûr de tempête

très fiers on regardait s’éloigner les plages

on était heureux on avait peur on était pâles

on avait nos goûters dans des sacs de toile

enfant j’ai vu le monde entier

depuis je n’ai jamais quitté

la rouille bleue des bastingages.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"puis le bus 128 moins deux c’est le 126 Vanves-lycée Michelet"

Il faut croire que vos paroles ont des effets prémonitoires, qu'ils domptent le destin et lui fixent des voies étroites. Ce jour là, je passais le concours Science Po, après avoir assidument suivi vos cours. Je n'ai pas réussi, je ne pouvais réussir. Vous, ou un autre de vos compères divins, en aviez décidé autrement. Je devais aller à Michelet.

J'y suis. Merci. J'y ai rencontré des personnes hors du commun, qui ont su en quelques semaines inscrire une empreinte inaltérable dans le marbre de mon cœur. De vrais amis. Un vrai amour. Un véritable travail. Merci.

Anonyme a dit…

pourquoi vouloir être reconnu? n'est-ce pas suffisant d'exister?

Anonyme a dit…

Très bel écrit qui me semble t'il évoque par sa forme et son genre "la prose du transsibérien et la petite jeanne de france" de CENDRARS....