LOIN DES JEUX, LOIN DU COEUR...

Il fut un temps où les morts au combat emportaient avec eux la clameur muette des hommages. Il fut un temps où nous communiions avec eux, moins pour la gloire que forgeait leur destin que pour le destin que forgeait cette gloire. Il fut un temps où chacun comprenait que notre nation et ses valeurs pouvaient à tout moment être suspendue à la fortune des armes. Il est vrai qu'en ce temps là il y avait encore une nation. Pendant que les athlètes français s'efforcent de compenser dans l'ordre du spectacle sportif l'abaissement d'un pays où l'on ne connaît même plus le premier couplet de la "Marseillaise" mais où un médaillé d'or "kieffe à donf" sa victoire,-"panem et circenses"- le major Franck Bouzet est mort en Afghanistan il y a deux jours. Il est notre 88° soldat tombé au feu. Dans un silence assourdissant dont, toutefois, nous eussions souhaité qu'au moins il ne fût pas rompu par le discours surréaliste du Président de ce qui reste de notre République.

Monsieur le Président, vous déclarez lors de votre hommage à ce soldat que la France, engagée en Afghanistan, ne défend pas des "intérêts" mais un certain nombre de "principes universels"!Est-ce à dire qu'en s'en retirant, elle y renonce? Je le crois en effet, vous voyant en Kapisa donner aux talibans un message d'encouragement identique à celui que vous prodiguez aux ethnismes hexagonaux. Ce que vous et vos amis refusent de comprendre, c'est que cette guerre lointaine se faisait aussi, et surtout, au nom d'une certaine conception des valeurs universelles, d'une certaine conception du "droit des gens", d'une certaine vision de la liberté et de la justice. Ce que vous et vos amis refusent de comprendre, c'est que le "droit à la différence" disparaît quand la "différence" conduit à l'oppression et à la barbarie. Dans quelques mois, les talibans feront, une seconde fois en 20 ans, leur entrée dans Kaboul, y réinstallant une "charia" dont beaucoup de vos amis semblent les indulgents admirateurs. Reste que nos soldats ne sont pas morts en vain. Comme les "limitanei" bysantins du Moyen-âge, ils furent les combattants des frontières, aux "avant-postes du Progrès" (J.CONRAD).Monsieur le Président, les officiers, respectueux de votre fonction et des contraintes liées à leur statut n'oseront pas vous le dire: une guerre se perd ou se gagne, et dans les deux cas dans l'honneur. Il n'est de deshonneur que dans la défausse, la fuite, la retraite, trois postures dont on sait désormais, il est vrai, que vous êtes coutumier.

Loin des jeux et loin du coeur, le major Franck Bouzet est mort pour la France, simplement. C'est donc une info qui, au fond, ne vous concerne pas.